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Panoptique

Parmi les pionniers de la surveillance moderne, on retrouve le philosophe utilitariste Jeremy Bentham, concepteur du panoptique. Le panoptique est une esquisse de prison conçue en cylindre, les cellules rayonnant autour du poste de garde centrale. Aucun coin ou recoin ne permet aux prisonniers d’être cachés. Les cellules sont toujours éclairées, tandis que le poste de garde est toujours dans l’obscurité. Parce que les prisonniers ne peuvent jamais savoir si ils sont observés ou pas, ils n’ont d’autre choix que de présumer qu’ils sont sous surveillance à chaque instant.

Voici ce que Bentham se proposait d’accomplir, avec le panoptique : « La morale réformée, la santé préservée, l’industrie revigorée, l’instruction diffusée, les charges publiques allégées, l’économie fortifiée — le nœud gordien des lois sur les pauvres non pas tranché, mais dénoué — tout cela par une simple idée architecturale. » Le point le plus important, celui qui dirigerait le panoptique, gagnerait un « nouveau mode d’obtention de pouvoir de l’esprit sur l’esprit, inégalé jusqu’ici. » Bentham était ambitieux. Ce pouvoir allait être utilisé largement, pour « punir les incorrigibles, garder les fous, réformer les vicieux, confiner les suspects, employer les oisifs, entretenir les indigents, guérir les malades, former ceux qui veulent apprendre, quel que soit le secteur industriel, ou dispenser l’instruction aux générations montantes : en un mot, qu’il s’agisse de prisons pour la détention à vie ou pour la détention en attente de jugement, ou de pénitenciers, ou de maisons de correction, ou de maisons de travail pour les pauvres, ou de manufactures ou de maisons de fou, ou d’hôpitaux, ou d’écoles. »

Voici comment cela fonctionne : « Il est évident que, dans toutes ces circonstances, plus les personnes à inspecter se retrouvent de manière constante sous la surveillance des personnes qui doivent les inspecter, plus l’objectif X de l’établissement aura été parfaitement atteint. La perfection idéale, si tel était l’objet, requerrait que chaque personne soit dans cette situation, à chaque instant. Ceci étant impossible, la seconde chose à souhaiter c’est qu’à chaque instant, la raison poussant à le croire, et dans l’incapacité de s’assurer du contraire, il se persuade lui-même d’y être. »

Les idées de Bentham ont eu de l’influence. Par exemple, le panoptique sert de modèle pour les prisons modernes de sécurité maximum comme la prison d’état de Pelican Bay, ici, à Crescent City, en Californie.

En effet, comme Michel Foucault l’a écrit dans les années 70, le panoptique est devenu un modèle pour la culture tout entière. Ainsi le panoptique est devenu non seulement « une simple idée d’architecture », mais aussi une métaphore pour les relations de pouvoir qui sous-tendent la civilisation moderne. Foucault écrit :

« De là, l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. Pour cela, c’est à la fois trop et trop peu que le prisonnier soit sans cesse observé par un surveillant : trop peu, car l’essentiel c’est qu’il se sache surveillé ; trop, parce qu’il n’a pas besoin de l’être effectivement. Pour cela Bentham a posé le principe que le pouvoir devait être visible et invérifiable. Visible : sans cesse le détenu aura devant les yeux la haute silhouette de la tour centrale d’où il est épié. Invérifiable : le détenu ne doit jamais savoir s’il est actuellement regardé ; mais il doit être sûr qu’il peut toujours l’être. Bentham, pour rendre indécidable la présence ou l’absence du surveillant, pour que les prisonniers, de leur cellule, ne puissent pas même apercevoir une ombre ou saisir un contre-jour, a prévu, non seulement des persiennes aux fenêtres de la salle centrale de surveillance, mais, à l’intérieur, des cloisons qui la coupent à angle droit et, pour passer d’un quartier à l’autre, non des portes mais des chicanes : car le moindre battement, une lumière entrevue, une clarté dans un entrebâillement trahiraient la présence d’un gardien. Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu : dans l’anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu. »

Comme si cela ne suffisait pas, Foucault continue: « Dispositif important, car il automatise et désindividualise le pouvoir. Celui-ci a son principe moins dans une personne que dans une certaine distribution concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards ; dans un appareillage dont les mécanismes internes produisent le rapport dans lequel les individus sont pris. […] Il y a une machinerie qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. »


Traduction: Nicolas CASAUX
Édition & Révision: Héléna Delaunay & Emmanuelle

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No Responses — Written on September 1st — Filed in Français

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