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Bienvenue dans la machine

Que fait la science ? Elle exige que tout soit mesuré. Elle exige que tout ce qui ne peut l’être soit ignoré ou détruit, et que tout ce qui peut l’être soit analysé (selon les règles de la science). Elle exige que des calculs soient faits afin de déterminer la meilleure façon d’utiliser tout ce qui peut être mesuré et analysé. Elle exige de ceux qui effectuent les mesures, les calculs et les analyses (et plus particulièrement de leurs maîtres) qu’ils règnent sur tout ce qui peut être mesuré. Nous décrivons les méthodes et les effets de la science, pas les motivations conscientes de chaque scientifique.

À quoi sert la science ? A analyser. Pourquoi ? Pour prévoir. Pourquoi ? Pour réduire les risques pour ceux qui effectuent les calculs (et pour leurs maîtres) et pour contrôler ceux (ou, pour utiliser leur langage, « ce ») que les prédictions concernent. Pourquoi font-ils cela ? Afin que ceux qui effectuent ces analyses et ces prédictions puissent régner sur tout ce [et ceux, NdT] qu’ils parviennent à analyser (et puissent détruire le reste).

Selon cette perspective, qu’est-ce que le pouvoir ? C’est la capacité de contrôler les aboutissements. &, donc, qu’est-ce que la bureaucratie ? C’est l’administration par les règles, l’efficacité, et la quantification. C’est l’administration du contrôle.

& qu’est-ce donc qu’une culture administrée par une bureaucratie ?

C’est une machine.

Quels sont les prérequis nécessaires à la transformation d’une communauté humaine vivante en machine ? Il faut que ses membres commencent à se percevoir eux-mêmes non plus comme les fils entrelacés d’une immense tapisserie du vivant, composée de relations complexes et changeantes — dans laquelle ils joueraient tel ou tel rôle selon ce qui est approprié, nécessaire, et désiré (par eux et par d’autres) — mais comme des rouages de l’engrenage colossale de ce qu’ils perçoivent comme une machine géante sur laquelle ils n’ont fondamentalement aucun contrôle, aucun impact. Ils doivent percevoir leur valeur non plus comme intrinsèque, mais comme strictement utilitaire : d’êtres humains, ils doivent être convertis en ouvriers. Il faut les amener à percevoir toutes les relations comme étant strictement hiérarchiques; ces relations où les plus éloignés du centre du panoptique sont au service de ceux qui s’y trouvent, où les rétributions [gains] circulent de l’extérieur vers l’intérieur, et où seuls les restes sont susceptibles, si reste il y a, d’emprunter le sens inverse. Tout doit être perçu en termes d’utilité à court terme. Rien ne doit être rendu.

Pourquoi les plantes nanotechnologiques supplanteraient-elles les véritables plantes vivantes? Pourquoi les bactéries nanotechnologiques supplanteraient-elles les véritables bactéries vivantes? Pourquoi notre culture de la machine supplanterait-elle les véritables cultures vivantes? Parce que les machines sont plus efficaces que les êtres vivants. Pourquoi les machines sont-elles plus efficaces que les êtres vivants? Parce que les machines ne rendent pas. Tous les êtres vivants comprennent qu’ils doivent rendre à leur environnement autant qu’ils prennent. S’ils ne le font pas, ils détruiront leur environnement. Par définition, les machines — et les gens et les cultures qui se sont eux-mêmes transformés en machines — ne rendent pas. Elles utilisent. Et elles usent. Cela leur confère des avantages sur le court terme au niveau de la capacité à déterminer les aboutissements. Elles supplantent. Elles submergent. Elles détruisent.

Une fois que les gens ont été convertis en rouages dans leur culture-machine, la division du travail est renforcée, les aptitudes de ceux qui se situent dans les anneaux périphériques les plus éloignés du centre du panoptique sont atrophiées, les cerveaux sont séparés des muscles (et des cœurs). Ceux qui se trouvent dans les anneaux du centre refusent de faire attention à tout ce qui ne peut être mesuré, et persuadent tous les autres d’en faire autant, si nécessaire sous la menace d’une arme. Ils produisent, et persuadent tous les autres d’en faire autant, encore une fois sous la menace d’une arme si ceux que l’on attelle à la machine n’ont pas appris à sourire en effectuant leur besogne. La productivité est strictement définie dans les faits (bien qu’il vaille mieux ne pas parler de cela directement, sauf quand c’est nécessaire) comme la conversion du vivant en inerte : les forêts vivantes en planches de bois ; les rivières vivantes en hydroélectricité permettant la fusion de l’aluminium (permettant, elle, les canettes de bière) ; les êtres humains vivants en ressources humaines. Cette conversion a lieu d’abord sur le plan perceptif — les sujets doivent cesser de percevoir les autres comme des sujets mais plutôt comme des objets — puis dans le monde physique. L’efficacité réside simplement dans le taux et l’exhaustivité qui caractérisent cette conversion.

Si les gens — ou les rouages, qui étaient auparavant des gens — sont à intégrer à la production, ils doivent être recrutés pour être efficaces. Dans la pratique, cela signifie que rien ne doit faire obstacle à la production. Ni les loisirs, ni l’amour, ni un terroir vivant, ni la vie sur Terre. Qu’il ne soit permis à rien d’humain ou d’animal de faire obstacle à la production peut sembler étonnant, jusqu’à ce que l’on se souvienne que la production est, encore une fois, la conversion du vivant en inerte. Le fait que les gens soient efficaces signifie simplement qu’il n’est pas permis à la vie de faire obstacle à son propre assassinat.

Au cœur de tout cela, on retrouve le fait qu’il est bien plus difficile de contrôler des êtres divers que des objets tous semblables. La diversité doit être détruite. Toutes les cultures servant des dieux autres que la production — la mort — doivent être détruites. Tous les langages qui ne sont pas utilisés à cette fin doivent être oubliés. Toutes les créatures que l’on ne peut utiliser doivent être éliminées. Tous les gens doivent être eux-mêmes standardisés (à quoi sert l’école d’après vous ?). Une seule religion. Une seule façon de connaître le monde. Un seul système économique. Une seule façon de vivre sur la terre. Si ce langage vous semble trop dur, regardez autour de vous, regardez ce que subissent la diversité culturelle, la diversité des langues, la biodiversité, ce que subissent toutes les formes de diversité. Elles sont en train de disparaître. Si vous ne parvenez pas à percevoir cela, il n’y a aucun espoir pour vous. Vous serez, cependant, toujours le bienvenu dans le panoptique. Bienvenue dans la machine.


Traduction: Nicolas CASAUX
Édition & Révision: Héléna Delaunay & Emmanuelle

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No Responses — Written on September 1st — Filed in Français

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