La 4ème histoire concerne une conversation avec une amie. Cette amie est venue me demander : « Crois-tu que ceux qui sont au pouvoir sont possédés ?
– Par l’avidité, de sorte que leurs possessions les possèdent, ai-je demandé ?
– Non.
– Par le système économique et social, comme Frederick Winslow Taylor l’a dit ” Dans le passé l’homme a été le premier ; dans le futur ce sera le système qui devra primer” ?
– Je ne comprends ce que cela a à voir avec la possession.
– Le système les possède. Ils servent le système, même si celui-ci les tue. Même si celui-ci est en train de tuer la planète. Ils sont possédés par le système, ils appartiennent au système.
– Je suis sûre que cela est vrai, mais ce n’est pas ce que je veux dire.
– Tu veux parler de possession comme dans L’Exorciste, avec des têtes tournant à 360°, des jets de vomi, et tout et tout ?
– Oui, je veux dire non. »
A présent c’était à mon tour de ne pas comprendre.
Elle a dit : « Je ne parle pas d’Hollywood. Hollywood ment à propos de tout. L’Exorciste est à la possession ce que Le Jour d’Après est au réchauffement climatique : spectaculaire dans le n’importe quoi. Par possession je parle de quelqu’un habité par quelqu’un d’autre, qui contrôle et influence son comportement. Penses-tu que ceux qui sont au pouvoir sont possédés de la sorte ?
– Absolument. »
Elle a semblé un peu surprise.
Je lui ai dit que je pensais qu’il est était vraiment possible que la possession soit un fait assez commun, pour le meilleur et pour le pire. Dans mon livre Songs of the Dead, j’ai écrit sur la rage, un virus qui se transmet par la salive. Une fois que le virus est entré dans le corps de quelqu’un, il passe par la colonne vertébrale et atteint le cerveau, dans lequel il se reproduit pour s’étendre jusqu’aux glandes salivaires. Je suis allé chercher mon livre pour lui en lire un extrait : « A ce moment-là les symptômes se divisent en deux sortes. La créature « rabies paralytica » se retire et se met à l’abri, se retrouve complètement paralysée et meurt. La « rabies furiosa » … commence à subir une extrême excitation et des spasmes musculaires douloureux parfois déclenchés en avalant sa salive ou de l’eau. A cause de ça elle se met à saliver ou à avoir peur de l’eau, d’où les fréquentes références à l’hydrophobie… Mais il y a plus. Durant cette phase finale particulièrement furieuse, elle peut, sans être provoquée par quoi que ce soit, se mettre à mordre vigoureusement ou vicieusement tout ce qui est à sa portée : des branches, des pierres, de l’herbe, d’autres animaux. Cette phase ne dure que quelques jours avant que la créature infectée tombe dans le coma et meure. Une fois infectée, la mort est presque certaine. »
J’ai levé les yeux de mon livre. « Ce qui mène à ces questions : sur qui porter l’accusation ? Qui mord vraiment ? Est-ce la créature, ou le virus ? »
J’ai continué de lire : « Le virus sait que s’il doit survivre à la mort de son hôte, il doit en trouver un autre, ce qui signifie qu’il (ou la créature) doit baver sur quelqu’un ou le mordre. Ainsi les spasmes douloureux engendrés par la déglutition et la salivation excessive expliquent la bave et les morsures. Une question devient en quelque sorte centrale dans cette discussion : à savoir si vous percevez le monde comme intelligent, et en ce cas vous n’hésitez pas à concevoir qu’il est possible que les virus sachent, choisissent ; ou si vous pensez que les virus agissent sans savoir, de façon mécanique, et alors vous ne concevez que les virus ne puissent savoir que le fait qu’ils aient besoin d’un nouvel hôte. Même dans un certain sens cette question n’importe guère, parce que dans les deux cas le virus pousse (l’hôte) à changer sa personnalité.
Le point central de cet extraordinaire ouvrage de R.D. Laing, The Politics of Experience, était que la plupart d’entre nous agit d’une manière qui fait sens intérieurement : nous agissons en accord avec la façon dont nous expérimentons le monde. Si, par exemple, j’expérimente le monde comme étant composé d’intelligences sauvages prolifiques et variées avec lesquelles je peux entrer en interaction, j’agirais d’une certaine façon. Si j’expérimente le monde comme étant mécanique, vide de sens et composés d’objets bons à être utilisés, j’agirais d’une autre façon. Il est clair que le virus change la façon dont l’hôte expérimente le monde, et à la fin en causant des douleurs et des hallucinations.
A présent voici la question : Comme Fidèle Vagabond ndlt (pour prendre un récit fictif connu sur la ”possession” causée par la rage) qui grogne et tente de mordre ceux qu’il protégeait encore juste avant, qu’est-il en train de penser ? Si je pouvais le lui demander en un langage qu’il pourrait comprendre, et s’il pouvait répondre en un langage que moi aussi je pourrais comprendre, que dirait-il ? Est-il terrifié par cette douleur énorme et est-il poussé par cet douleur à agresser les gens autour de lui ? Est-il déboussolé ? Se demande-t-il d’où vient cette douleur ? Ou a-t-il totalement rationalisé son comportement ? A-t-il – ou le virus – créé tout un système de croyance pour soutenir son comportement ? Est-il soudainement furieux à cause de tout ce qu’il a subi de ceux qui s’appellent ses maîtres ? Il est certain que dans ce film les humains – et spécialement son maître Travis – l’ont traité avec autant d’ignominie que l’on puisse attendre de cette culture … Se perçoit-il comme voyant d’un coup les choses clairement et comme haïssant ces autres et ce qu’ils défendent ?
Ou alors est-il délirant, ne mordant non pas le Travis qui se tient en face de lui, mais tentant plutôt de le protéger comme il le faisait avant en frappant cette rage dévorante qui le rend malade ? Voit-il des fantômes danser devant lui, et qui l’esquivent à chaque fois qu’il les attaque, le faisant mordre dans le vide ? Ou peut-être Fidèle Vagabond se bat de toutes ses forces pour ne pas s’en prendre aux humains qui représentent tout ce qu’il a, ces humains pour lesquels il avait déjà si souvent donné sa vie. Peut-être qu’il se sent plutôt comme pris par une sorte d’addiction, une compulsion, et il ne peut juste pas s’en empêcher.
Ou peut-être le virus s’est insinuée dans son cerveau d’une telle manière que Fidèle Vagabond perçoit à présent ce virus comme étant Dieu. Il entend ses commandements et il sait qu’il doit obéir. Peut-être que ce dieu lui dit qu’il doit convertir ces autres à cette seule vraie religion, et qu’en faisant cela lui et aussi ces autres œuvreront pour une paix et une joie éternelle – et une issue au tourment de ce monde. Peut-être qu’il se perçoit comme offrant un présent à ces autres.
Nous agissons en accord avec ce que nous expérimentons du monde. Le virus a transformé l’expérience du monde de Fidèle Vagabond. Quand Fidèle Vagabond agit – où quand n’importe qui d’entre nous agit – qui est responsable ? Qui prend vraiment les décisions ? Pourquoi Fidèle Vagabond agit-il ainsi ? »
Nous nous sommes regardés.
J’ai dit : « Ce n’est pas exceptionnel. Dans ce livre j’ai aussi écrit sur la petite douve du foie, qui parasite 3 hôtes : les serpents, les fourmis et les moutons ou les vaches. Les serpents mangent les déjections qui peuvent contenir des œufs de ce parasite. Les douves se développent pour se répandre dans la bave des serpents. Les fourmis mangent cette bave, et donc les douves. Maintenant, comment les douves arrivent-elles à se faire ingérer par les vaches et les moutons ? En prenant les commandes du cerveau de la fourmi. Comme je l’ai écrit : ” La larve de douve continue à se développer dans les intestins de la fourmi, puis se ronge un chemin vers l’exosquelette. Parce que les douves ne veulent pas que la fourmi meure tout de suite, elles colmatent les trous qu’elles font à l’intérieur et en sortent. Elles sortent toutes sauf une. Celle-ci se ronge un chemin vers le cerveau de la fourmi et elle prend vraiment le contrôle de ses mouvements et de ses mandibules. Au crépuscule, elle guide la fourmi – ou la convainc? – vers le sommet des brins d’herbe (…) pour attendre ainsi une vache ou un mouton. Si rien ne vient la nuit, la fourmi redescend et reprend pour la journée sa vie normale, jusqu’à la nuit prochaine, quand la douve reprend les commandes et envoie la fourmi en haut d’une touffe d’herbes. Quand un bovidé mange l’herbe sur laquelle se trouve la fourmi, il mange accidentellement la fourmi et toutes les douves du foie. Les douves, – en fait elles peuvent être 50000 dans un mouton adulte – cheminent dans le foie du bovidé par le canal biliaire et en quelques mois pondent leurs oeufs. Ceux-ci se retrouvent dans les déjections, et peuvent être mangées par les serpents, et toute l’histoire recommence.” »
Là elle me dévisageait.
Je continuais de lire : ”Et bien sûr il y a le parasite unicellulaire Toxoplasma Gondii. Ces parasites se transmettent des chats aux rats, les uns mangeant les selles des autres, et vice versa. Le parasite ne semble pas affecter profondément le comportement du chat – après tout, le chat a simplement à déféquer pour transmettre le parasite, et ils le font très bien, comme tous ceux qui ont des chats le savent – mais il affecte le comportement des rats. Cette créature unicellulaire rend les rats moins timides, plus actifs, ayant une plus grande propension à vouloir explorer des nouveaux stimuli dans leur environnement. Les rats infectés perdent aussi leur peur instinctive des chats. Je suis sûr que vous pouvez voir en quoi tous ces changements les rendent plus faciles à attraper pour les chats, et donc à attraper Toxoplasma Gondii.
Les rats et les chats ne sont pas les seules créatures à porter Toxoplasma Gondii : ces parasites vivent aussi dans les humains, qui peuvent les contracter en ingérant des selles infectées de chats, sans doute en les touchant accidentellement, puis en portant les mains à la bouche. Vous pouvez aussi les ingérer en mangeant de la viande pas assez cuite de porc, d’agneau ou de chevreuil. La plupart des porteurs humains n’ont pas de symptômes physiques, mais certaines personnes souffrent de lésions sévères au cerveau, aux yeux, ou à d’autres organes. Le fœtus dans l’utérus est particulièrement vulnérable face à cette infection, et c’est pour cela que l’on recommande aux femmes enceinte d’éviter le nettoyage de la litière. Toxoplasma Gondii vit à l’intérieur du corps de 600 millions d’Américains. La moitié des Britanniques sont porteurs de ces créatures, et 90% des gens en Allemagne et en France.
Cela peut surprendre ceux qui croient que les humains sont fondamentalement différents des autres animaux d’apprendre que les rats ne sont pas les seules créatures dont le comportement est changé par Toxoplasma Gondii : la même chose est vraie pour les humains. Des études menées en Grande Bretagne, en République Tchèque et aux États Unis ont révélé des changements saisissants parmi certains humains infectés. Ces changements incluent une plus grande tendance à développer une schizophrénie ou une dépression obsessionnelle, et un temps de réaction plus long, les rendant plus susceptibles d’avoir des accidents, notamment des accidents de voiture.
Il y a des changements plus subtiles, aussi. Les hommes infectés ont tendance à devenir « plus agressifs, négligés, antisociaux et … moins séduisants ». Les chercheurs les décrivent comme « moins soignés et solitaires », ayant « un penchant pour la bagarre » et tendance à être « plus suspicieux et jaloux ». Les femmes infectées deviennent « moins dignes de confiance, plus désirables, plus libérées et ayant tendance à être plus tactiles. » Elles dépensent plus d’argent dans les vêtements et sont souvent considérées comme séduisantes.
Un des chercheurs a même affirmé : « Je suis français, et je me suis même demandé si cela pouvait affecter le caractère de toute une nation. »”
« Et tout ça avec une créature unicellulaire. Un parasite.
Qui est responsable ? »
Elle s’est gratté la tête.
J’ai dit : « Pour en ajouter une couche, il y a quelques années j’ai eu une grosse infection de la prostate…
– Tu as raison, dit-elle, cela fait un peu trop d’informations à traiter.
– C’est vrai, mais j’ai vraiment une bonne raison. Le premier symptôme est que je me suis mis à me masturber plus fréquemment qu’à l’ordinaire.
– J’espère vraiment que tu as une bonne raison.
– J’en ai une. Quand j’ai commencé à avoir cette compulsion, il n’y avait pas d’autre symptôme du tout. Je ne pouvais pas me douter de ce qui se passait. Ensuite, une quinzaine de jours après, j’ai commencé à ressentir une horrible douleur dans mon, enfin, là en bas. Finalement je suis allé voir un docteur et une de ses prescriptions informelles me conseillait d’avoir beaucoup d’orgasmes. Il m’a dit ça parce que c’est très difficile de drainer une infection de la prostate, de par sa faible vascularisation et de par sa forme – elle est constituée de longs tubes très fins menant aux réservoirs de liquide séminal – elle rend le traitement antibiotique relativement inefficace : il ne peut se rendre jusqu’aux réservoirs. Ce qui signifie que si vous ne drainez pas les réservoirs, ils deviennent de vrais nids à infections. »
Elle a hoché la tête.
« Et c’est là que pour moi cela devient très intéressant. J’avais commencé à me masturber de façon compulsive deux semaines avant l’apparition des autres symptômes et deux mois avant le diagnostique. Même si j’avais su que j’avais une infection de la prostate, l’idée que l’éjaculation puisse y remédier ne m’est pas venue à l’esprit ; bien que j’éjaculais depuis des années, j’ignorais comment tout cela fonctionnait, je n’avais aucune idée du rôle de la prostate. Mais ma prostate savait qu’elle était infectée, et elle savait qu’elle devait être drainée. Ce que je croyais être une étrange et soudaine obsession de ma part venait en fait de la part de mon corps qui tentait de se débarrasser par lui-même d’une infection. Cela renvoie à la question…
– Qui est responsable, m’a-t-elle coupé. »
Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca
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