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Dreams Préface

Cela fait depuis plusieurs années que je voulais écrire un livre sur la relation réciproquement bénéfique et extrêmement complexe entre les réalités oniriques et éveillées. Mais à chaque fois que je finissais un livre et m’attelais à celui-ci, un autre livre demandait soudainement mon attention, et remettait le projet à plus tard. Puis cette année ce livre s’est clairement imposé, comme nous allons l’explorer ici. Il ne pouvait plus être remis à plus tard.

Et comme cela se passe si souvent avec les messages qui viennent des lieux où nait l’écriture, j’ai choisi de les ignorer. J’ai pensé que la raison que j’avais d’ignorer ces messages était, comme nous semblons toujours penser à propos de ces raisons, inéluctable. Dans ce cas ma raison était que le monde physique, réel est en train d’être tué et je ne voulais pas gaspiller mon temps à écrire sur les rêves. Avec le monde entier en jeu, n’importe quel livre – action, pensée, journée, vie – qui n’aide pas à réussir à arrêter cette culture qui tue la planète est inexcusable, impardonnable. Et comment un livre sur les rêves pourrait aider ?

Et puis ça m’est venu. En partie parce que cette culture qui tue la planète ignore, dévalorise et diabolise les messages provenant de ces lieux d’où viennent l’écriture, les rêves, et tant d’impulsions, d’idées et d’êtres. Cette culture essaie de créer une séparation rigide entre ce qu’elle appelle l’humain 1 d’un côté et ce qu’elle appelle le naturel ou le surnaturel d’un autre côté ; elle favorise alors ce qu’elle appelle l’humain aux dépens du reste.

La différence fondamentale entre la façon de vivre des civilisés et et celle des indigènes est que pour le civilisé, même le plus ouvert d’esprit, écouter le monde est une métaphore. Pour les peuples indigènes traditionnels, ce n’est pas une métaphore ; c’est la façon de s’entendre avec le monde réel.

Je ne suis pas un indigène. Pas le moins du monde. Je ne serai jamais un indigène. Je suis simplement un membre vivant d’un univers vivant, tout comme vous. L’expérience d’écoute et de communication avec le non humain, dont les autres mammifères, les autres animaux, les champignons, les plantes, les bactéries et autres ; et aussi les êtres que cette culture ne considère même pas comme vivants comme les rivières, les roches, les montagnes, les étoiles, les sols et autres ; et aussi les êtres que cette culture ne considère même pas comme existant, comme les muses, les donneurs de rêve ndlt, les esprits et autres – est un droit de naissance appartenant à chacun d’entre nous. Notre exil culturellement imposé de ces relations – ce bourrage de crâne culturellement imposé dans lequel nous nous trouvons emprisonnés – est un des prix que cette culture nous inflige.

Parce que cet exil est si dénaturé, il est extrêmement difficile à maintenir. Il doit être plus ou moins constamment renforcé par des messages comme quoi d’autres intelligences n’existent pas, avec des messages de supériorité autoproclamée, avec des messages frénétiquement provocants d’aliénation auto imposée. Communiquer avec les autres non humains, « entendre des voix », est, comme on nous le dit encore et encore, à considérer comme insensé.

Il y a des années, j’ai interviewé Judith Herman, une penseuse, écrivain, philosophe remarquable, et une défenseuse des victimes et survivants de traumatismes, qui fait probablement le plus autorité dans le monde en ce qui concerne les effets de la captivité 2 sur la psyché humaine. Elle a longtemps été une de mes héroïnes. L’interview s’est extrêmement bien passée, et en plus je sentais que nous avions établi quelque peu une relation. Nous avons échangé quelques emails, et elle était chaleureuse et généreuse. J’ai utilisé des éléments de son interview dans A Language Older than Words, qui portaient en partie sur la communication entre les espèces, en partie sur les violences domestiques, et en partie sur l’idée qu’avant de pouvoir exploiter les autres, vous devez les réduire au silence. J’ai décrit cette mise sous silence en l’étendant à la sphère du non humain, et parlé de l’importance d’écouter le monde naturel. Pour la remercier pour le rôle qu’elle a joué dans ce livre je lui en ai envoyé une copie. Notre relation a semblé disparaître totalement. J’ai trouvé le courage de lui demander ce qu’elle pensait de ce livre et j’ai reçu une réponse assez froide insinuant gentiment que de déclarer entendre les voix des non humains était un signe de maladie mentale, et pointant le fait que certains grands gourous de secte avaient déclaré recevoir leur inspiration des non humains (elle parlait de ces membres de secte complètement cinglés qui déclaraient avoir reçu leur inspiration de Dieu, et non pas de ces cinglés de la secte capitaliste qui déclaraient avoir reçu l’inspiration de l’argent, ni de ces cinglés de scientifiques qui avaient fétichisé leur déclaration à n’avoir à écouter personne (d’où pensez-vous que leurs idées puissent venir?), bien que la plupart d’entre eux aient compris que s’ils n’écoutent pas leurs chefs de Monsanto, de l’Agence Nationale de Sécurité (NSA), d’Exxon-Mobil, ou de leurs équivalents, ils ne pourraient être capables de maintenir leur train de vie auquel ils avaient été habitués).

Je respecte encore profondément cette femme et resterai toujours reconnaissant pour son travail, mais je pense qu’elle a faux sur cette question. Ce sont les membres de cette culture – cette culture qui est en train de tuer la planète – qui qualifient l’écoute des non humains d’insensée. Les membres des cultures indigènes qui ont vécu sur leurs terres pendant des milliers d’années sans tuer la planète appelle cette écoute des non humains une part de la vie normale.

* * *

Aujourd’hui j’ai lu un questionnaire standard d’admission en hôpital psychiatrique. Une des questions pour aider à déterminer si vous souffrez de schizophrénie paranoïde était : « Entendez-vous des voix alors qu’il n’y a personne autour de vous ? » On peut présumer que la présence physique des non humains ne compte pas comme entité (et que celle des humains dans un poste de télévision compte). Alors moi qui entend la voix de ma muse quand elle me donne les mots que j’écris serait une attaque contre moi. Le fait de recevoir l’aide des arbres quand j’atteins des parties très difficiles de mes livres en serait une autre. Peut-être que l’attaque numéro trois serait dans le fait que la nuit précédant le terrible accident de voiture qui a cassé le nez de ma mère et l’a rendue aveugle, j’ai entendu une voix me répétant sans cesse de rester à la maison ce jour-là ; et je ne l’ai pas écoutée, ce qui d’une perspective psychiatrique était parfaitement sain. Mais dans ce cas-là ma salubrité a couté la vue à ma mère et des décennies de douleur.

Voici ce que je sais. J’ai, moi-même, fait l’expérience consciente de la communication avec des êtres de l’autre côté. Ma muse est un être réel, pas une réification de processus inconscients. Il en est de même pour l’être qui me donne les rêves. Il y en d’autres que je connais, aussi. Et au-delà d’eux je n’ai aucune idée du nombre de ces êtres avec lesquels je communique quotidiennement, pas plus que je connais les êtres avec lesquels je communique quotidiennement et qui vivent dans mon corps (comme les bactéries et les trichuris trichuria vivant dans mes entrailles, les globules blancs parcourant tout mon organisme, etc).

Ce livre donne en partie une vision réfléchie de ce que signifie communiquer avec ceux de « l’autre côté », quelle que soit la façon dont nous pouvons conceptualiser cet « autre côté », ou plus précisément,  quelle que soit la façon dont « l’autre côté » existe vraiment. C’est aussi une tentative, comme presque tout mon travail, de défaire l’emprise que la pensée scientifique, matérialiste, linéaire a sur ce qu’on perçoit, pense, expérimente, et agis sur ( et non avec) le monde, et puis à travers nous l’emprise que la pensée scientifique, matérialiste, linéaire a sur le monde réel, physique en tant que  tel 3.

Au point où nous sommes avec cette culture en train de défaire le monde, nous avons désespérément besoin du peu d’aide que nous pouvons obtenir, quelles qu’en soient les sources. Je veux trouver qui sont ces entités vivant là-bas, de « l’autre côté », arriver à les connaître rien qu’un petit peu ( dans la mesure où elles veulent être connues ; je ne veux pas débarquer là où je ne suis pas bienvenu et reproduire le même vieux schème pornographique, patriarcal, scientifique en tentant de forcer les autres à se révéler s’ils ne veulent pas le faire), et s’ils sont intéressés (et je devine que certains le seront), leur demander leur aide. Parce que de plusieurs façons ce livre est une tentative désespérée de trouver plus d’alliés pour aider à stopper cette culture avant qu’elle ne tue la planète.

Dans les deux volumes de Endgame, j’ai explicitement exclu la possibilité d’une aide de cet « autre côté », pas parce que je croyais que nous ne pouvions recevoir d’aide de cet « autre côté », mais plutôt parce que, en toute franchise, tant de gens de cette culture sont insensés, et paresseux, et utiliseront n’importe quelle excuse dans le monde (et hors de ce monde) pour ne pas agir contre cette culture. Si j’avais même insinué la possibilité d’une aide venant de l’autre côté, bien des gens auraient répondu « Et bien, alors la Grande Mère prend juste son temps, quand elle sera prête elle nous sauvera tous. Donc je n’ai pas vraiment de bonnes raisons pour faire sauter ce barrage ou cette raffinerie, non ? D’ailleurs, si je faisais vraiment sauter ce barrage ou cette raffinerie, je salirais mes mains (et ma spiritualité), et nous ne voulons certainement pas ça, non ? » En gros, la plupart des gens de cette culture sont drogués à cette culture, intoxiqués par leur propre esclavage à cette culture, et pour avoir la chance d’atteindre un drogué, il faut – et je ne peux pas mettre trop d’emphase sur le « il faut » – ne laisser aucune échappatoire possible.

Je sais que la muse et le donneur de rêves m’aident bien plus que je peux en dire. J’ai des relations profondes et inscrites dans la durée. Et je sais qu’il y a d’autres ailleurs, aussi. Certains amicaux. Certains non. Je sais aussi qu’en ces temps troubles, beaucoup d’indigènes les ont appelés pour leur demander de l’aide.

Nous avons besoin de leur aide maintenant. Si c’est le cas que des peuples indigènes traditionnels sont en rapport constant avec des êtres de l’autre côté, et avec ces autres espaces-mêmes, alors ils font partie de chez nous, comme les arbres, les limaces, les pierres et les sols. Et ça fait longtemps que nous sommes retournés chez nous. Nous pouvons très bien trouver des amis et des voisins là, des amis et des voisins qui sont prêts à nous aider à défendre notre – et leur – chez nous.

* * *

Est-ce insensé d’écouter le monde naturel?

Vous jugez.

Mieux, mettez de côtés vos suppositions et vos tendances, et jugez par vous-mêmes. Faites votre propre décision basée sur votre propre expérience.

1  Il faut comprendre les humains les plus riches et les plus puissants : voir, par exemple, la façon dont le riche vole le pauvre, et le taux de viols commis par les hommes sur les femmes.

ndlt  Traduction pour dreamgiver.

2  Incluant les violences domestiques.

Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca

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No Responses — Written on December 31st — Filed in Français

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