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Domination domestique, domination écologique

Pendant deux semaines deux mots n’ont cessé de me venir en tête: mimique toxique.

Je croyais que la civilisation était une culture de parodies. Le viol est une parodie du sexe. Les guerres civilisées sont une parodie des guerres indigènes, qui sont relativement non létales et qui sont des formes de jeux hyper-stimulants 168, c’est-à-dire que la guerre civilisée est une parodie du jeu.

La violence relationnelle est une parodie de l’amour. Les grandes villes sont une parodie des communautés, et la citoyenneté est une parodie de la participation au fonctionnement d’une communauté. La science – qui a pour fondements la prévisibilité et le contrôle total – est une parodie du plaisir provenant de la capacité à prévoir et rencontrer les besoins et les désirs de ses amis et de ses voisins (…). L’emploi récréatif d’états altérés par la culture est une parodie de leurs emplois traditionnels. Chacune de ces parodies prennent la forme de ce qu’elles parodient pourtant elles en outrepassent l’esprit et les intentions.

Mais récemment un ami m’a convaincu que ce n’était pas exactement ça: la parodie n’outrepasse pas les intentions, mais les pervertit et tente de les détruire.169 Le viol est une mimique toxique du sexe. La guerre est une mimique toxique du jeu. Les liens maître-esclave sont une mimique toxique du mariage. Argh, le mariage est une mimique toxique du mariage, d’un partenariat réel où les partis s’entraident pour se réaliser pleinement.

J’aime l’expression mimique toxique, mais elle ne m’aide pas vraiment à éclairer le type de relations entre des dépendances. J’ai demandé à ma mère.

Elle m’a répondu en un mot: « Identité ».

« Vraiment, ai-je dit. » Je n’avais aucune idée de quoi elle parlait.

J’allais lui demander ce qu’elle entendait par là, quand je me suis tout à coup souvenu d’une conversation que j’avais eue des années auparavant avec la théologienne et philosophe féministe Catherine Keller, auteure de From a Broken Web. Nous parlions de la façon dont les abus se communiquaient de génération en génération, et de ce que ces abus – à la fois aux niveaux personnel et social – faisaient sur qui nous sommes. Elle a expliqué que toutes les cultures n’étaient pas basées sur la domination, et a ensuite raconté l’émergence de cette culture, et ses effets: « Au sein d’un groupe dans lequel des mâles guerriers prennent les devants et dominent les tribus ou les villages, tout le monde commence à développer une sorte de Moi qui est différent de celui des aînés, un Moi qui réfléchit les défenses que la société elle-même configure… Autrement dit, si des gens essaient de vous contrôler, il sera très difficile pour vous – en partie à cause de votre peur – de maintenir une transparence envers eux ou les autres. Très souvent la souffrance que vous subissez vous la transmettrez aux autres. Encore et encore nous voyons les causes de la souffrance – les abus et la destruction – découlant d’une blessure antérieure. Nous restons avec une fabrication défensive incroyable de Moi qui ont émergé de ce paradigme de domination. Et parce que les gens qui incorporent une personnalité défensive vont dominer ces sociétés, ce genre de défense qui endommage la personnalité, qui détruit les sociétés, et qui tue les écosystèmes tend à se propager comme un cancer.»

Je lui ai demandé ce qu’elle entendait par défensive.

Elle a répondu: « Alan watts disait que les principales hallucinations de la culture occidentale – et j’ajouterais du paradigme de domination – résident dans la croyance que nous sommes un ego encapsulé de peau. Juste comme la peau vous défend des dangers du monde physique, l’égo vous défend des dangers psychiques. Cela mène à ce que j’ai défini dans les termes de Moi séparé. L’étymologie du mot séparer est très révélatrice. Elle vient de la combinaison du Latin se pour « soi », signifiant « de soi-même » et parare, « préparer ».

(…) « La croyance que la séparation prépare à l’individualité pose beaucoup de problèmes, dont, et ce n’est pas le moindre, le fait qu’elle ne correspond pas à la réalité. Nous savons que physiologiquement, un individu ne fonctionne pas en vase clos, de « lui-même », que nous devons respirer, manger, excréter, et que même à un niveau moléculaire nos frontières sont perméables. C’est la même chose au niveau psychique. La vie se nourrit de la vie, Whitehead dit que si nous nous coupons de ce par quoi nous nous nourrissons psychiquement les uns les autres, la texture de nos vies devient très fine et plate. Quand nous vivons sur la défensive, il n’y a pas cet apport progressif lorsqu’on se nourrit de la richesse des relations infinies par lesquelles nous existons.

Pour que le système reposant sur la domination puisse se perpétuer il doit y avoir une gratification clairement établie pour ceux qui arrivent à maintenir un état de déconnection. Les gens doivent être initiés et entraînés à cet état, et ils doivent en être récompensés avec un sens de la dignité, si ce n’est d’humanité, si ils sont capables de maintenir un contrôle de soi – qui s’oppose à l’être au monde – et une capacité à contrôler leur environnement, ce qui inclut le plus de gens possible.

Si vous avez une société organisée de façon à ce que ceux qui sont au sommet tirent profit du travail de la majorité, vous avez de fortes motivations pour développer ce type de personnalité qui vous a mené là. Le seul type de personnalité qui vous a mené là et celui qui vous permet d’insensibiliser votre empathie. Pour maintenir un système de dominance, il est crucial que l’élite apprenne cette insensibilisation empathique, semblable à ce que Robert Jay Lifton appelle « insensibilisation psychique », de façon à ce que ces membres puissent contrôler et torturer si nécessaire et tuer sans que ça les atteigne. Si ces membres sont incapables de s’insensibiliser, ou si ils n’ont pas été entraînés correctement, le système s’effondrera. »

C’est une des raisons, dit-elle, pour laquelle la civilisation coopte souvent aux mouvements s’opposant à la domination. « La société telle que nous la connaissons a bien besoin, continue-t-elle, de vivre de l’énergie des mouvements alternatifs. Elle a besoin de sucer notre sang dans le but de s’en nourrir, en partie parce qu’un système de domination sera toujours sous-alimenté. »

« Comment ça? »

« Une fois que nous nous débranchons de nos connections vitales – connections plus comme des fibres de ce que nous appelons nature où il n’y a pas de barrière entre les choses et leurs interrelations – une fois que nous nous débranchons de ce qui connecte les choses les unes aux autres, et qu’à la place nous poursuivons les objectifs de la civilisation telle que nous la connaissons, la source d’énergie doit venir d’ailleurs. Par extension, cela peut venir en suçant le travail du pauvre, ou en exploitant le corps des animaux et des gens traités comme des animaux. L’exploitation du corps des femmes donne beaucoup d’énergie. Mais le parasitisme de la culture dominante est infini, parce qu’une fois que vous vous coupez du flot libre de la vie perméable et mutuelle, vous devez en retrouver de quelle que façon artificiellement. »

(…)

Ce qui nous amène à la catégorie d’après: les agresseurs éloignent toujours leurs victimes des autres ressources. Je suis en train de taper ces mots assis sur une chaise manufacturée, les yeux vissés sur l’écran d’un ordinateur manufacturé, écoutant le ronronnement de son ventilateur manufacturé. A ma gauche il y a des étagères manufacturées avec des livres manufacturés écris par des humains. Les humains lettrés, civilisés qui écrivent en Anglais (les langues, dont la plupart sont indigènes, sont en train d’être détruites comme toutes les autres formes de diversité, avec pour effets désastreux: la langue que vous parlez influence ce que vous pouvez dire, ce que vous pouvez penser, ce que vous pouvez percevoir, ce dont que vous pouvez faire l’expérience, ce qui influence votre façon d’agir; ce qui influence sur qui vous êtes, ce qui influence ce que vous pouvez dire, etc…) A ma droite une fenêtre montre l’obscurité dehors et me reflète ma chevelure brune dépeignée entourant le reflet flouté de mon visage. Je porte des vêtements et des pantoufles de fabrication industrielle. J’ai, par contre, un chat sur mes genoux. Tout l’apport sensoriel, sauf le chat, a pour source les humains civilisés, et même le chat est domestiqué.

Stop. Pensez à ça. Toutes les sensations que j’ai viennent d’une seule source: la civilisation. Quand vous aurez fini ce paragraphe, laissez le livre pendant un moment, et examinez votre environnement. Que pouvez-vous voir, entendre, sentir, ressentir, goûter qui ne vienne pas ou est médiatisé par les êtres humains civilisés? Le chant de grenouille du CD Sounds of Nature ne compte pas.

Tout cela est très étrange. Encore plus étrange – et extraordinairement révélateur du degré auquel nous avons non seulement accepté mais aussi réifié cette isolation artificielle imposée, et transformé notre aliénation en bien perçu – et la façon dont nous avons fabriqué un fétiche et une religion (et la science, sur ce cas, aussi bien que le business) de la tentative de nous définir comme étant séparés – et différents de, isolés de, en opposition à – du reste de la nature. L’agresseur le plus souvent isole leurs victimes des autres ressources. Pour aller plus loin, la civilisation nous isole tous – idéologiquement et physiquement – de la source de la vie.

Nous ne croyons pas que les arbres aient des choses à nous dire ( ni même qu’ils puissent juste parler), ni les étoiles, ni les coyotes, ni même nos rêves. Nous avons été convaincus – et c’est la première différences entre les philosophies occidentale et indigène – que le monde était silencieux pour les humains civilisés.


168 J ‘en ai parlé plus longuement ailleurs. Voir, par exemple, Jensen, Culture, pp.174-185.
169 Je remercie Deda Bea pour m’avoir appris ce que sont les mimiques toxiques.

Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca

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No Responses — Written on June 15th — Filed in Français

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