Je repense encore à cette phrase de Thomas Jefferson, « En temps de guerre, ils tueront certains d’entre nous, nous devrons les détruire tous.» La raison, en partie, pour laquelle les civilisés ont systématiquement vaincu les indigènes (et le reste du monde naturel) est que cette phrase n’est pas rhétorique, mais elle se manifeste dans le monde réel tous les jours et de multiples façons (…). C’était évidemment vrai quand Jefferson l’a dit, quand les Indiens se plaignaient du fait que peu importait le nombre de soldats blancs ou de colons qu’ils allaient vaincre ou tuer, un plus grand nombre encore venaient pour les remplacer. C’est vrai aujourd’hui quand les indigènes perdent inévitablement leurs terres (…) C’est vrai maintenant en Irak, où les Irakiens peuvent tuer quelques soldats américains, mais l’armée américaines a montré clairement qu’elle détruirait autant d’Irakiens qu’il est nécessaire pour maintenir son contrôle. C’est vrai dans notre pays: une partie du pouvoir de la police lors des protestations repose sur le fait que chaque officier de police (et chaque protestants) savent que bien que quelques protestants insubordonnés peuvent bien lancer quelques bouteilles ou pierres qui rebondiront sur les armures des policiers, s’ils ont besoin, et même s’ils le veulent, ces derniers détruiront chaque protestants. Si (ou plutôt je devrais dire quand, car ça va arriver bientôt) certains d’entre nous vont commencer à faire sauter des barrages pour libérer des rivières, il est à craindre que nous serons à ce moment-là tous en prison ou morts. La même chose est à craindre si nous coulons des chalutiers de pêche, nous faisons tomber des antennes de téléphonie, sauter des parkings ou des routes, démolissons des Carrefours, brûlons des poids lourds, démantelons des sièges d’entreprise etc. 2 Nous pouvons avoir raisons de certaines constructions, mais nous sommes sûrs qu’ils iront nous détruire tous. Ou du moins essaieront-ils. La peur de cette perspective implacable est palpable et paralysante. S’ils vont nous accabler de toute façon avec leur engrenage broyant tout ce qui nous est cher, pourquoi alors ne pas accepter les biens et les services que le système emploie pour récompenser ceux dont le silence en fait des collaborateurs à cette destruction en cours de la planète ?
* * *
Je ne suis pas stupide, je sais bien que la raison en partie pour laquelle ceux au pouvoir peuvent se permettre de dire qu’en cas de guerre ils auront à nous détruire tous est qu’ils ont des millions de gens armés qui veulent bien le faire.
La première raison pour laquelle beaucoup d’entre nous ne veulent pas gagner cette guerre – ou même reconnaître qu’il y en a une – et que nous bénéficions matériellement du pillage engendré par cette guerre. Je ne sais pas combien d’entre nous, même ceux qui prétendent se battre pour la nature, voudraient bien se passer de son automobiles, de son portable, de ses douches chaudes, de ses yaourts glacés, de ses lumières électriques, de son four microondes, de son supermarché et de son magasin de vêtements,10 et plus fondamentalement le système qui mènent à ces technologies effroyablement chères, et même plus fondamentalement que notre identité de citoyens civilisés, même si tous ces artefacts, ce système, cette identification, sont en train de nous tuer et de tuer, et c’est plus important, le monde. Un autocollant de droite dit : « Vous pouvez avoir un revolver si vous le soutirez à mes doigts raides morts », mais ce n’est pas que le revolver : nous aurons à soutirer des griffes rigides les volants automobiles, les bombes de laque, la télécommande de la télé et les bouteilles de sodas. Tous ces biens individuels et collectifs sont plus importants pour la plupart des gens que le sont les lamproies, les saumons, les hiboux, les guillemots, les tigres et nos propres vies.
Bien sûr que nous ne voulons pas gagner, nous perdrions notre câble télé.
(…)
Je pensais avant que la déclaration de Thomas Jefferson – « En temps de guerre, ils tueront quelques-uns d’entre nous, nous aurons à les détruire tous. » – était simplement épouvantable, et était révélatrice de la mentalité abusive et génocidaire qui se trouvait dans la propension de la civilisation à détruire tout ce qu’elle touche. Au-delà de ça, mon esprit se serait éteint : j’étais tellement perturbé par cette déclaration et la réalité qu’elle contenait que je n’étais pas capable de penser clairement. Je reconnais sa justesse, mais avant de me donner les moyens de l’intégrer totalement je l’ai mise de côté et je suis retourné à mes affaires. Deux années après cette déclaration est sortie de son fossé et a fait son chemin vers la prise de conscience que non seulement cette déclaration est épouvantable, perturbante, juste et tout et tout, mais qu’en plus si on veut survivre il va falloir fonctionner avec/dans cet état d’esprit, à savoir l’intention de gagner. Mais les implications d’une telle prise de conscience m’ont encore une fois effrayé, et j’ai remis cette compréhension-là de côté. Ça y est resté encore deux années, jusqu’à ce que ça ressorte récemment, un peu plus loin dans le cheminement. Oui, cette déclaration est bel et bien abominable et oui, si on doit survivre il va falloir la combattre avec une égale, si ce n’est une plus grande détermination, mais à présent je comprends que cette déclaration a des significations que certainement Jefferson lui-même n’a jamais captées, des significations révélant le point final de la civilisation, car cette déclaration est – dans le sens où il n’a jamais eu l’intention d’aller – tout au plus la simple affirmation d’un fait naturel.
(…)
Cette compréhension, bien sûr, n’est pas seulement basée sur les rêves, mais sur une simple logique, basée sur la longue histoire des civilisations s’effondrant alors qu’elles détruisent les terres dont elles dépendent, et sur ce qui est clairement avant nous. Vous ne pouvez pas détruire un monde et vivre dessus. C’est seulement la monumentale arrogance de cette culture, son caractère abusif, son narcissisme et sa stupidité qui fait que tant de gens croient qu’ils peuvent le manipuler, l’empoisonner, l’exploiter et le consumer allègrement, qu’ils peuvent prendre sans donner en retour, et que le monde continuera, en bonne victime, à supporter ceux qui le tuent, et qu’il ne ripostera jamais.
Cela n’importe guère dans ce cas que vous soyez des mécanistes qui ne croient pas que le monde puissent riposter et qu’il le fera, ou que vous soyez des animistes, qui, comme moi, font l’expérience d’un monde qui a sa volonté propre. Si vous êtes des premiers, vous pouvez parler des écosystèmes qui s’effondrent et perdent leur capacité à supporter la vie humaine (ou non humaine, si vous êtes d’une humeur extraordinairement expansive). Si vous êtes des seconds, vous pouvez parler de la planète qui retire son support à cette culture misérable, et riposte en sapant et détruisant en dernier lieu ce qui est en train de tenter de la tuer.
Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca
2 J’ai d’abord écrit cette phrase avec « si » au lieu de « quand », mais je peux vous dire que ça fait du bien d’employer « quand ».
7 Et de même pour la guerre contre les femmes, ils ont des millions de pénis volontaires.
8 Et c’est la même chose à un niveau individuel : vous ne pouvez pas faire la paix avec une personne abusive. Vous perdrez la paix autant que les disputes. Il y a une seule façon pour ne pas perdre face à une telle personne, c’est de la sortir de votre vie. Et que ce soit de même à l’échelle d’une culture devrait être à présent évident. Une autre chose évidente est qu’à l’échelle de la culture nous ne pouvons pas juste partir. Si nous ne pouvons pas partir, comment sortir cette culture abusive de notre vie ? La réponse semble assez claire.
10 Et ne me fatiguez pas avec cette sempiternelle affirmation comme quoi, si nous nous en passons à l’échelle individuelle, cette culture cessera de tuer la planète. On en a déjà discuté, mis ça n’a pas l’air de prendre. Changer sa façon de vivre n’arrêtera pas la culture. Il faut faire tomber le système.