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Abuser

« La violence contre les femmes et la violence contre la Terre, légitimées et promues par la religion et la science patriarcales viennent d’une même agressivité qui prend racine dans l’érotisation de la domination. L’image de la femme-objet ou victime de cette culture génocidaire est à mettre en parallèle avec des représentations contemporaines qui montrent continuellement une Terre-objet ou jouet ou machine violentée, provenant de l’idéologie religieuse et scientifique qui légitime la possession, la contamination et la destruction de la Terre Mère. »

Jane Caputi,  
Gossips, Gorgons & Crones : the fates of the earth,  
Santa Fe, NM:Bear&Compagny, 1993, p.53.

LES ABUSEURS ndlt

 NOUS AVONS ÉTÉ DÉMENTIELLEMENT TROP GENTILS AVEC CEUX QUI SONT EN TRAIN DE TUER LA PLANÈTE. Nous avons été inexcusablement, impardonnablement, insensément trop gentils.

 Je comprends à présent. Pendant des années je me suis demandé si les abuseurs/gens violents croyaient en leurs mensonges, et finalement j’ai trouvé une réponse qui me convenait.

(…)

 Lundy Bancroft m’a aidé à prendre conscience de certaines choses très importantes. Il s’est spécialisé dans les abuseurs/violents, notamment ceux qui perpétraient la violence domestique, mais ce qu’il a écrit s’applique aussi bien à la culture entière de l’abus/violence, qu’aux abus de ceux qui les commettent à plus grande échelle et sur lesquels j’écris.

Sa thèse centrale semble être que le problème premier n’est pas que les abuseurs « perdent tout contrôle » ou soient particulièrement enclins à « entrer dans une colère noire », mais plutôt qu’ils considèrent dans leur bon droit d’exploiter, feront tout pour exploiter, et exploiteront tant qu’ils le pourront.

(…)

 Les abuseurs ne se retrouvent pas hors de contrôle. Ils se contrôlent au contraire très bien. Je ne l’avais pas compris avant d’avoir lu ce livre de Bancroft.

De façon similaire, je parle de la pulsion de destruction de cette culture, et de comment ceux qui sont au pouvoir détruisent les choses qu’ils ne peuvent pas contrôler. J’ai écrit sur la déforestation, sur les océans dévastés, sur le massacre des pauvres et l’extinction des espèces. Mais les entreprises et ceux qui les font marcher ne vont pas écraser pêle-mêle tout ce qui se trouve autour d’eux. Comme Michael ndlt2, ils ne vont pas bien sûr détruire ce qui leur appartient. Et bien sûr ils ne vont pas nettoyer ce qu’ils ont dévasté, et peu importe le remord qu’ils vont feindre d’éprouver, et peu importe tout ce qu’ils vont déclarer avoir réalisé avec le pétrole et la reforestation, et tout le reste qu’ils vont déblatérer.

(…)

 (Bancroft) veut en venir au fait que quand les abuseurs commettent leurs atrocités, ils restent parfaitement conscients des questions suivantes : « Suis-je en train de faire quelque chose que les autres pourraient découvrir et me faire mal considérer ?68  Suis-je en train de faire quelque chose qui pourrait me mettre en défaut vis-à-vis de la loi ?  Cela pourrait-il me causer des problèmes ?  Suis-je en train de faire quelque chose que je considère moi-même comme étant cruel, choquant ou violent ?69 »

Ces questions sont posées mot pour mot dans les salles de réunion des entreprises. J’ai discuté longuement il y a quelques années avec une ancienne avocate d’entreprise qui après une prise de conscience a quitté son travail pour se retourner contre les entreprises. « Les gens qui font tourner ces entreprises, a-t-elle dit, savent exactement ce qu’ils font. Ils savent qu’ils sont en train de tuer des gens. Ils savent qu’ils sont en train de détruire les rivières. Ils savent qu’ils mentent. Et ils savent qu’ils font beaucoup d’argent avec tout ça. »

Bancroft continue : « Une intuition décisive s’est glissée dans mon esprit quand j’ai travaillé avec mes 12 premiers clients. Un abuseur ne fait presque jamais rien qu’il considèrerait lui-même comme moralement inacceptable. Il peut cacher ses actions parce qu’il pense que les autres ne seraient pas d’accord avec ça, mais lui se les justifie en son for intérieur. Je ne peux mentionner un client qui m’aurait déjà dit : « Ce que j’ai fait ne peut pas être défendable de quelle que manière que ce soit. J’étais totalement dans le faux. » Il a invariablement une raison qu’il considère valable. En bref, le problème chez un abuseur, c’est qu’il a une vision pervertie de ce qui est bien ou mal.70 »

 C’est vrai à une échelle sociale plus large. Il est clair qu’une culture qui tue la planète a une vision pervertie de ce qui est correct et de ce qui est bien ou mal. Il est clair qu’un département de police qui arrête des gens qui s’accrochent aux arbres pour empêcher qu’on les coupe mais pas ceux qui déforestent ni ceux qui violent, a une vision pervertie de ce qui est correct et de ce qui est bien ou mal.

(…)

 Encore une fois, les connexions à une échelle culturelle plus large devraient être évidentes. Cela reprend d’une certaine manière le prémisse quatre, mais c’est suffisamment différent et suffisamment essentiel pour être l’objet du prémisse dix-neuf : le problème de la culture réside par dessus tout dans la croyance que contrôler et abuser du monde naturel est justifiable.

Tout cela ramène à ce bon droit perçu comme tel. Comme Bancroft l’affirme, « Le bon droit est la croyance que l’abuseur a en le fait qu’il a un statut très spécial qui lui fournit des droits exclusifs et des privilèges qui ne s’appliquent pas à son partenaire. Les attitudes qui dirigent les abus peuvent largement être résumées par cette seule expression. »72

Cette attitude peut s’appliquer à une échelle sociale plus large. Bien sûr les humains sont une espèce exceptionnelle, à qui un Dieu sage et omnipotent a accordé l’exclusivité des droits et des privilèges de la domination de la planète, laquelle est là pour que nous l’utilisions. Et bien sûr même pour ceux qui s’ adonnent à la religion de la Science plutôt qu’au Christianisme, on dira que l’intelligence et les habilités exceptionnellement exceptionnelles de l’être humain nous a accordé l’exclusivité des droits et des privilèges de la domination de la planète, laquelle est là pour que nous l’utilisions. Et bien sûr parmi les humains, les civilisés sont encore plus exceptionnels, parce que nous sommes à un tel stade de développement social et culturel, avec un droit et un privilège exceptionnels d’utiliser le monde comme bon nous semble. Et bien sûr parmi les civilisés humains, ceux qui font le spectacle sont encore plus exceptionnels, etc.

Cette croyance flatteuse de croire en son bon droit d’exploiter ceux qui nous entourent est une raison majeure pour laquelle les abuseurs stoppent rarement leurs abus.(…)

Comme Bancroft l’a écrit : « Au fil du temps, l’homme grandit attaché au confortable cocon de ses privilèges. »75(…)

Qu’est-ce qu’ils tentent de tirer, ceux qui sont au pouvoir, de ce qu’ils ont fait ? Quel en est leur ultime bénéfice ?(…)

Beaucoup d’Indiens ont déjà posé ces questions à propos des civilisés. J’ai souvent posé ces mêmes questions à propos des PDG, des journalistes d’entreprise, des politiciens. Comment font ces gens pour dormir la nuit ?

À poings fermés, dans des lits confortables, dans des maisons de 2500 m2, derrière des portails, avec un système de sécurité privé, merci beaucoup.

Ce sont d’autres gens que leurs activités empêchent de dormir.

Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca


Ndlt: traduction de abusers : en français le terme abuseur, peu usité, désigne celui qui trompe, alors qu’en anglais il désigne surtout celui qui agresse, qui maltraite. Or dans ce chapitre de Endgame, Jensen veut clairement démontrer qu’une personne violente sait très bien ce qu’elle fait, tout comme les dirigeants de ce monde qu’ils massacrent.
Ndlt2:c’est le prénom d’un des maris violents dont Brancroft a interviewé la femme. Cette dernière s’est effectivement rendue compte qu’il ne brisait que ses affaires à elle.
68 J’ai connu beaucoup de femmes dont les maris ne les battaient que au corps, jamais au visage, parce que ça se verrait.
69 Bancroft, Lundy, Why does he do that ? Inside the minds of angry and controlling men, New York : Monthly Review, 1957, p.34.
70 Ib. Italique original.
72 Ib. p.54.
75 Ib. p.152

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No Responses — Written on January 15th — Filed in Français

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