Le 29 novembre 1864, environ 700 soldats, sous le commandement du Colonel John Chivington, se sont rendus près du camp Cheyenne à côté de Sand Creek, dans le Colorado. A l’aube ils virent qu’il y avait près d’une centaine d’habitations.
Chivington savait que les Indiens avaient rendu les armes volontairement au gouvernement fédéral, n’ayant gardé que le nécessaire pour chasser. Il savait que les Indiens étaient considérés par les militaires comme des prisonniers de guerre. Il sut également qu’à ce moment-là tous les hommes étaient partis chasser le bison. Il en déduit de tout cela qu’il « lui tardait d’en faire une mare de sang. »
Comme c’était vrai pour Descartes quelques siècles auparavant, Chivington n’était pas un lunatique isolé, il avait toute une culture qui le supportait. Cet homme très respecté – un ancien ministre protestant, senior toujours respecté par l’Église et récent candidat au Congrès – avait déjà affirmé dans un discours que sa politique envers les Indiens se résumait en ce termes: « les tuer et les scalper tous, sans exception. » Ce serait confortable de penser qu’une telle pulsion meurtrière l’aurait marginalisé. Et ce serait une erreur. Le Rocky Mountain News, le journal de la région, avait plus d’une dizaine de fois utilisé son éditorial l’année précédente pour appuyer la nécessaire « extermination des ennemis rouges », affirmant que les Indiens étaient « d’une race dépravée, vagabonde, brutale et rustre, juste bonne à être éradiquée de la surface de la terre. » Le journal travaillait en étroite collaboration avec le gouverneur, qui avait proclamé qu’il était du droit et de l’obligation des citoyens et des militaires de la région de « chasser, tuer et détruire » tous les Indiens. Chivington et ses troupes n’ont pas agi seuls.
Deux hommes blancs qui se trouvaient dans le camp ont espionné les soldats et dressé une peau de bison en guise de drapeau au dessus de leur tête pour montrer que ce village-là était ami. Black Kettle, le chef cheyenne désigné a été le premier à élever un drapeau blanc, et, craignant le pire, l’a remplacé par un drapeau américain que le président Abraham Lincoln en personne lui avait donné, dans une tentative désespérée de convaincre les soldats de ne pas attaquer.
Ce qui se passa par la suite fut inévitable et effroyable. Les soldats tirèrent. Les Indiens fuirent. Chivington ordonna qu’on tire dans la masse des femmes et des enfants paniqués. Les troupes chargèrent et massacrèrent tous les non blanc qui se trouvaient sur leur passage. Les femmes ont tenté de trouver des refuges sur les rives sableuses pour se protéger et protéger leurs enfants. Comme un soldat a rapporté plus tard, « il y avait une trentaine de squaws qui s’étaient réfugiées dans un trou, elles ont envoyé une petite fille de six ans tenant un petit drapeau blanc au bout d’un bâton, elle eut à peine le temps de faire quelques pas avant d’être abattue. Toutes les squaws ont été tuées ensuite, sans exception, sans même riposter. Tous les cadavres que j’ai vus ont été scalpés, même celui d’une femme enceinte. »
Figurez-vous la scène: un Chivington barbotant joyeusement dans sa mare de sang. Les corps des Indiens mutilés dans le froid matinal de novembre. Au loin, vous pouvez voir un groupe de femmes et d’enfants tentant de fuir. Derrière eux, plus loin, des soldats à cheval les chargent. Vos yeux sont attirés par un mouvement sur le sable de Sand Creek. A mi distance entre les deux groupes, un enfant. Le soldat se souvient: « Il y avait un enfant, d’environ 3 ans, assez grand pour pouvoir marcher dans le sable, mais pas assez pour suivre le groupe qui fuyait. Il était tout nu, et marchait dans le sable. J’ai vu un homme descendre de cheval, il était à environ moins de cent mètres de l’enfant, il l’a visé et l’a raté. Un autre homme est arrivé et a dit: “laisse-moi essayer, je peux abattre ce fils de pute.” Il est descendu de son cheval, s’est agenouillé, a tiré et l’a aussi raté. Un troisième homme est arrivé, a fait la même remarque, et l’a abattu. »
Maintenant figurez-vous une autre scène, celle du retour de tous ces soldats victorieux. Vous savez qu’ils ont scalpé tous les corps sur leur chemin, déterrant même ceux qui auraient été enterrés avec leur chevelure. Vous voyez tant de scalps, que, comme le rapporte le Rocky Mountain News, « Les scalps de Cheyenne sont aussi nombreux que les crapauds en Egypte. Tout le monde en a un et s’acharne à en obtenir un autre pour l’envoyer à l’est. » Vous savez que les soldats ont aussi coupé les doigts et les oreilles pour récupérer les bijoux des cadavres. Mais à présent vous regardez de plus près, et vous voyez clairement « des soldats couper les parties génitales des femmes pour les arborer sur leur selle ou leur casque lorsqu’ils reforment leur rang. »
Maintenant figurez-vous, si vous y arrivez encore, une troisième et dernière scène. Le Congrès ordonna une investigation sur ce que Chivington appela « une des batailles les plus sanglantes qu’on ait jamais menées contre les Indiens » et ce que Théodore Roosevelt appela plus tard « une action tant rigoureuse que bénéfique parmi toutes celles qui ont placé les frontières. » Le comité d’investigation a demandé une rencontre avec le gouverneur et Chivington à l’Opéra Denver. Cette rencontre ouverte au public a été très fréquentée. Vous êtes au fond. Vous sentez la sueur, la fumée, et sans en être sûre vous devinez qu’il y a de l’alcool fort qui tourne. Durant la rencontre quelqu’un demande si il vaut mieux, pour régler le problème manifeste des Indiens, de les civiliser ou de les exterminer. La foule explose. Selon les dires d’un sénateur, « il y a eu soudainement un cri tel qu’on n’en a jamais entendu même sur un champ de bataille – un cri tellement fort qu’il aurait pu faire décoller le toit de l’opéra – « EXTERMINEZ-LES!EXTERMINEZ-LES! »
Chivington n’a pas agi seul.
Chivington n’a ni été réprimandé ni même puni, sa gloire n’a même pas été remise en cause. L’université du Colorado a donné son nom à un internat après son exploit.
Le fait que tous ces Indiens aient été tués de cette manière n’est pas surprenant. On n’a jamais considéré qu’ils étaient humains. Les femmes étaient des « squaws », les hommes des « bucks ». Les enfants? Ils comptaient encore moins. Ils devaient être tués parce que, comme Chivington adorait le dire « les lentes font des poux. »
* * *
Mon père n’a jamais battu quelqu’un s’il ne le méritait pas. Mes frères étaient souvent battus parce que la cuve des chevaux étaient pleine qu’aux deux tiers et non complètement pleine, ou parce qu’ils n’avaient pas la meilleure note, à savoir un A. Quand elles étaient adolescentes, mes sœurs étaient réveillées pour être battues parce que la vaisselle n’était pas assez bien faite. Je me souviens qu’une de mes sœurs a été battue parce que des chiots étaient tombés dans la piscine, et qu’au lieu de les repêcher, elle avait appelé son frère pour le faire. Elle a été battue pour ne pas les avoir repêchés elle-même, et parce que ces chiots valaient de l’argent.
La stupidité pompeuse de ses raisonnements ne justifiait pas ses actes. Il avait une soudaine envie de battre quelqu’un et trouver une excuse. D’un autre côté, ses raisonnements absurdes étaient ce qui posaient problème, bien plus que la violence physique. S’il avait fourni des raisonnements pertinents pour sa violence – s’il pouvait en exister– nous les victimes aurions pu maintenir un semblant de contrôle et nous soumettant à ses exigences. Joe aurait pu améliorer ses résultats scolaires, ma mère (moi et mes sœurs) aurait pu l’aimer mieux, mes sœurs auraient pu faire en sorte que cette foutue vaisselle soit parfaitement faite? D’un autre côté, s’il n’avait donné aucune raison, nous aurions pu voir directement quelle était sa violence, purement et simplement absurde. Cependant en fabricant un raisonnement insensé pour justifier ses actions, il pouvait se les rationaliser, et nous donnait la possibilité de jouer activement notre rôle de victime. La demande était insatiable, et versatile. Ce jour-là c’était l’orthographe, le lendemain les chiots, le jour d’après la vaisselle. Il changeait, nous suivions. C’était purement et simplement une situation impossible.
Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca
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