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Une interview: écologie politique, greenwashing, postmodernisme…

Que penses-tu de Jill Stein et du Parti Vert des États-Unis ?

Derrick Jensen (D.J.) : Je ne suis pas un grand fan du Parti Vert. J’ai fait une intervention il y a 10 ans à la conférence Bioneers, conférence qui traite du changement social et de l’écologie. Il y a un an, leur slogan était « le changement arrive », relativement au changement de paradigme. Ce qui m’a brisé le cœur, c’était que, d’autant que je sache, j’étais la seule personne présente à avoir parlé du pouvoir et de la sociopathologie. Je ne pense pas que l’on puisse aborder la transformation sociale sans parler du pouvoir, et je ne pense pas que l’on puisse discuter de la destruction de la planète sans parler de sociopathologie. Le Parti Vert a beaucoup de bonnes idées, mais comment les mettre réellement en place, étant donné que ceux qui détiennent le pouvoir sont des sociopathes et que le système, dans l’ensemble, récompense les comportements sociopathologiques ?

Cela ne signifie pas que nous devons abandonner ou ne rien faire. Un de mes amis médecin dit que la première étape d’un traitement est un diagnostic adéquat. Si ce comportement sociopathologique fait partie de la maladie qui tue la planète alors le combat contre ce comportement sociopathologique doit faire partie de notre réponse.

J’ai voté Vert à deux élections, et je voterai à nouveau pour le parti Vert à l’échelle locale. A l’échelle nationale, le vote que j’ai donné était plutôt symbolique. J’ai voté pour Nader. J’ai voté pour un ami une fois. La dernière fois que j’ai voté pour un candidat mainstream [grand public], c’était contre Ronald Reagan en 1984, et on n’avait pas beaucoup d’autres choix que de voter contre Reagan. Mais curieusement, en 1980, j’avais voté pour Reagan, puis, ayant réalisé que j’étais stupide, j’ai voté Démocrate en 84. En 1988, je me suis réveillé et j’ai compris que le système dans son ensemble était une grosse connerie.

Je crois au vote à l’échelle locale. Voter au niveau national ne changera pas grand-chose, mais localement, on peut protéger certaines choses.

Quels avertissements donnerais-tu à de jeunes écologistes pour bien faire la différence entre le greenwashing (écoblanchiment) et les efforts efficaces ?

D.J. : Le meilleur moyen d’apprendre est de faire des erreurs. Le conseil que je donnerais à de jeunes activistes est de trouver ce qu’ils aiment et de le défendre. A un moment, probablement lorsqu’ils se heurteront au système économique, ils constateront qu’ils sont coincés. C’est une leçon que nous devons tous apprendre.

Au milieu des années 1990, j’avais déjà compris que cette culture était intrinsèquement destructrice, mais le « cavalier législatif sur la récupération de bois » a tout de même été une importante leçon pour moi. En 95, les activistes de tout le pays avaient réussi à stopper les ventes de bois du Service des forêts en utilisant le processus des recours. Pour faire simple, si vous pouviez démontrer que les ventes de bois enfreignaient la loi, vous pouviez lancer un recours pour les faire arrêter. Après cela, ils devaient produire un nouveau document. Alors vous les faisiez arrêter à nouveau en montrant qu’ils violaient la Loi sur la protection de l’eau, la Loi sur la protection de l’air, etc… Notre succès était tel que le Congrès fit passer un cavalier législatif sur la récupération de bois, qui stipulait que toutes les ventes de bois qu’ils souhaitaient seraient exemptes de réglementations environnementales. La leçon à retenir, c’est que chaque fois que vous réussirez à mettre un terme à l’injustice et à la destruction en utilisant leurs règles, ils les changeront à vos dépens. Il n’y a vraiment aucune alternative au fait d’apprendre cette leçon par soi-même.

Reconnaître le greenwashing relève de ce que beaucoup d’indigènes m’ont dit : nous devons décoloniser nos cœurs et nos esprits. Nous devons cesser de faire preuve de loyauté envers le système et commencer à offrir notre loyalisme à la terre et au monde naturel. La question centrale est : envers quoi les personnes concernées sont-elles loyales ? Le monde naturel ou le système ?

Qu’ont en commun toutes les soi-disant solutions au réchauffement climatique ? Elles considèrent l’industrialisation, le système économique et le colonialisme comme l’acquis ; et attendent du monde naturel qu’il se conforme au capitalisme industriel. C’est littéralement insensé, déconnecté de la réalité physique. Un tour de force terrible a pris place : la soutenabilité ne signifie plus « assurer la durabilité de l’écosystème naturel », mais « assurer la durabilité du système économique ».

Donc lorsque vous essayez de savoir si quelque chose relève du greenwashing, demandez-vous : « Est-ce que cette chose aide principalement à soutenir le système économique, ou le monde naturel ? »

C’est un des problèmes que pose l’électricité industrielle solaire et éolienne. Elle vise principalement à faire durer la fête plus longtemps, pas à protéger les saumons.

Je demanderais aussi aux jeunes de s’intéresser aux intrications. Une cellule photovoltaïque peut être vraiment cool, et te permettre d’alimenter ta culture d’herbe, mais d’où vient cette cellule ? Elle requiert des extractions. Elle requiert des infrastructures globales. Même les activistes environnementaux font abstraction de ces intrications. J’ai entendu un activiste déclarer « l’électricité solaire n’a pas de coût, seulement des bénéfices ». Dites cela au lac de Baotou en Chine, qui est désormais complètement mort à cause des extractions de terres rares. Dites cela aux humains et aux non-humains qui ne peuvent plus vivre grâce aux ressources du lac ou des terres empoisonnées qui l’entourent.

Un de mes amis dit que « Beaucoup d’écologistes commencent en voulant protéger un espace spécifique du territoire, et finissent par remettre en question l’ensemble de la culture de la civilisation occidentale ». Une fois que vous commencez à vous poser des questions, elles ne s’arrêtent pas. « Pourquoi veulent-ils détruire ce morceau de territoire ? » vous amène à « Pourquoi veulent-ils détruire d’autres morceaux de territoire ? ». Vous vous demandez ensuite « Pourquoi notre système économique est-il basé sur la destruction de territoires ? Quelle est l’histoire de ce système économique ? Que se passe-t-il quand il n’a plus de limites ? Que se passe-t-il quand vous les avez dépassées ? » Il est important que les jeunes activistes n’arrêtent jamais de poser ces questions.

Peux-tu citer des révolutions fructueuses du passé dont nous devrions nous inspirer lorsque nous mettons en place nos propres stratégies ? Des cas où le pouvoir colonisateur s’est retiré, et a laissé l’économie aux mains de son peuple ?

D.J. : L’économie est un mot très oppressif dans un système économique mondialisé. On peut parler des Irlandais qui ont chassé les Anglais, ou des Vietnamiens qui ont chassé les États-Unis, mais le vrai vainqueur au Vietnam est Coca-Cola, puisque le Vietnam est toujours relié au système économique global.

Je pense que c’est une bonne chose que les Indiens et les Irlandais aient chassé les Anglais, et que les Vietnamiens aient chassé les États-Unis, je n’attaque donc pas la révolution en disant cela. Mais un des problèmes lorsque vous l’emportez sur un certain état d’esprit, c’est qu’il trouvera souvent le moyen de s’exprimer autrement. Lorsque les États-Unis ont rendu illégal l’esclavage, la prérogative sous-jacente, en l’occurrence le fait que les blancs considéraient avoir des droits sur les vies et le travail des Afro-américains, était toujours présente et a trouvé une nouvelle expression avec les lois Jim Crow. On peut le constater depuis lors et jusqu’à nos jours, avec les incarcérations massives d’hommes afro-américains, par des moyens tellement honteux. Comme je l’ai dit plus tôt, nous ne devons jamais cesser d’être attentifs aux intrications, et c’est malheureusement assez déprimant. Lorsque vous trouvez une victoire, vous découvrez aussi bien souvent une réaction, une reconfiguration et un rétablissement du sectarisme sous-jacent.

On le voit aussi avec le déplacement du monothéisme vers la science, spécialement la science mécaniste, pour laquelle le monde n’est pas vivant. Le monothéisme du Dieu du ciel chrétien a accompli le gros du travail en retirant le sens du monde et en le laissant là-haut. La science mécaniste n’est en fait qu’une suite. On peut se raconter « qu’on s’est vraiment débarrassé de la superstition et du sectarisme de la chrétienté », mais cette foi en la science est encore plus effrayante. Au moins, avec le Dieu du ciel des Chrétiens, il y avait quelque chose au-dessus des humains. Maintenant, les humains se transforment eux-mêmes en ce nouveau dieu et pensent contrôler la planète entière.

Ces quelques précisions énoncées, le film Le vent dans les saules met en lumière une des choses intelligentes qu’ont faites les Irlandais. Le film s’ouvre avec tous ces Irlandais qui jouent au hurling. La première fois que je l’ai vu, j’ai pensé, « quel est le rapport entre le hurling et la lutte des Irlandais pour la libération ? » Comme je l’ai mentionné, une des choses que nous devons faire est de nous décoloniser. Ils l’ont accompli en partie par la pratique de sports irlandais, par l’usage du langage gaélique, et par la lecture de littérature gaélique. Une révolution concluante commence en brisant les identifications avec le système dominant. Il y a d’abord un aspect affectif. Après cela, tout n’est que stratégie et tactique : vous regardez autour de vous et vous demandez « Que voulons-nous faire, faire sauter quelque chose, voter, manifester pacifiquement ? »

Cela nous renvoie à tout ce dont nous avons parlé jusqu’ici. Nous identifions-nous au système ou à ceux que nous essayons de protéger ? On peut dire que le mouvement des droits civiques a été un succès dans la mesure où les Afro-américains ont maintenant un droit de vote précaire. Évidemment, l’incarcération de masse vise les hommes noirs et leur retire ainsi leur droit de vote, mais le mouvement a tout de même été un succès en ce qu’il a atteint des objectifs. S’identifier aux électeurs noirs est ce qui a rendu cela possible. S’identifier est donc très important.

Quelques années après avoir écrit la Guerre Écologique Décisive, as-tu appris des choses en matière de stratégie, et que tu voudrais changer ?

D.J. : Nous ne savons pas, puisque personne ne l’a mise en œuvre. Tout ce que je sais c’est qu’il y a plus de 450 zones mortes dans le monde et qu’une seule a recouvré la santé — dans la mer Noire. L’Union Soviétique s’est effondrée, ce qui a rendu l’agriculture non-rentable à cet endroit. Ils ont mis fin à l’agriculture et la zone morte a suffisamment récupéré pour qu’il y ait désormais une zone de pêche commerciale. A mes yeux, cela confirme que la planète se remettra lorsque cette culture arrêtera de la tuer, en supposant qu’il reste quelque chose.

L’image qui me vient toujours en tête est ce corps, la Terre, qui continue de perdre son sang parce qu’il a été poignardé 300 fois. Tous ces gens essayent de le soigner, et ils lui font des réanimations cardiaques, lui mettent des bandages, et tout le reste. Mais ils n’arrêtent pas l’assassin qui continue à poignarder cette personne à mort. Nous devons arrêter ce dommage principal. Nous devons accepter que nous ne pouvons pas tout avoir. Nous ne pouvons pas avoir un mode de vie qui repose sur le capitalisme industriel et continuer à avoir une planète.

Je n’ai pas vraiment répondu à ta question, parce que comme je l’ai dit : personne ne la met en œuvre, alors nous ne savons pas quelles erreurs il peut y avoir dans la stratégie. Je dis depuis 15 ans que si des aliens arrivaient sur terre depuis l’espace et infligeaient ce que la civilisation industrielle inflige à la planète, nous mettrions en place une Guerre écologique décisive. Nous détruirions leurs infrastructures. C’est un point important. On peut émettre l’argument selon lequel la seconde Guerre Mondiale a été remportée par les alliés, principalement sur les champs de bataille de Russie. Mais je soutiens que le plus important a été la destruction de la capacité industrielle allemande. De la même façon, le Nord a gagné la Guerre de Sécession non seulement parce qu’il avait les meilleurs généraux, mais parce qu’il a détruit la capacité du Sud à mener une guerre.

Je me fiche du moyen : nous pouvons le faire en votant, pourvu que cela fonctionne. Mais nous devons trouver comment empêcher cette culture de mener une guerre contre la planète.

Dans Green Is the New Red (Le Vert est le nouveau Rouge), Will Potter aborde la répression contre les mouvements écologistes (verts). As-tu des conseils à donner aux personnes qui veulent parler ouvertement de la résistance mais craignent les répercussions ? Où se situe la limite entre la culture de la sécurité et le besoin d’une construction de mouvement ? Le Comité Invisible dit que nous devons lier les actions qui ont été menées dans une histoire. Le problème réside-t-il dans le fait que les médias ne couvrent jamais les actions de ceux qui, par exemple, mènent des actions directes contre le fracking dans le New Jersey, et que les actions directes couvertes par les médias semblent se calquer sur des histoires d’horribles loups solitaires ? Penses-tu que cela étouffe notre mouvement?

D.J. : Ce que tu dis explique beaucoup de choses. La couverture des actions directes, et les vraies raisons qui dictent ces actions, ne peuvent être laissées au soin des médias grand public. Le mouvement a besoin de personnes publiques capables de publier l’histoire, et d’un groupe clandestin, séparé, pour la mettre en place. Ces deux rôles sont d’une importance critique, mais nous avons besoin d’un pare-feu. Beaucoup d’activistes ont été arrêtés notamment parce qu’ils essayaient de faire les deux. Chez Deep Green Resistance, nous essayons de remplir ce rôle public, comme le fait le service de presse du Front de libération des animaux de l’Amérique du Nord.

En ce qui concerne la culture de la sécurité… je pense, parfois, au mouvement de légalisation de la marijuana (je comprends que ce n’est pas tant un mouvement révolutionnaire fructueux qu’un mouvement social fructueux). Ils ont fait du bon boulot en mettant au point un programme qui aurait été impensable trente ans en arrière. Ils ont réussi cela en utilisant ce modèle, en agissant clandestinement avec les cultivateurs et publiquement avec la NORML (l’Organisation nationale pour la réforme des lois sur la marijuana). On peut dire la même chose de l’IRA (Armée républicaine irlandaise). Vous avez besoin de ce pare-feu si vous vivez dans un état sécuritaire, mais il ne faut pas être inutilement paranoïaque. Même si la surveillance est partout et qu’ils prétendent être Dieu, ceux qui sont assis au sommet ne sont pas réellement omniscient. Vivre en Californie du Nord, où l’économie de l’herbe dirige en fait l’ensemble de l’économie, m’a aidé à comprendre que le panoptique n’est pas aussi omniscient qu’il le voudrait. (Encore une fois, je sais qu’il y a une différence entre A) faire pousser de la marijuana, qui est probablement fumée par bon nombre de flics et qu’ils considèrent avec sympathie, et B) mettre fin au capitalisme, ce qui ferait paniquer tous les flics.)

Je suis très naïf à bien des égards, y compris en ce qui concerne la culture de la drogue. Mais j’ai enseigné à Pelican Bay, une prison de très haute sécurité, et des étudiants m’ont confié que si vous les lâchiez dans n’importe quelle ville du monde, ils pourraient trouver de la drogue en 15 minutes. Je ne serais même pas capable de trouver des toilettes en 15 minutes ! Cela signifie que l’économie souterraine résiste très bien au panoptique : il n’est pas omniscient.

Le Green Scare (ce nom, popularisé par les activistes environnementaux, désigne l’action légale mise en place par le gouvernement des États-Unis contre le mouvement écologiste radical) n’a pas abouti grâce au panoptique, ou grâce au brillant travail de la police. Les cas de sabotage ont été résolus par un bon informateur à l’ancienne, parce que Jake Ferguson était un abuseur, un drogué et un mouchard. Une culture basique de la sécurité aurait sans doute été suffisante pour déjouer l’enquête.

Peux-tu donner une définition du Féminisme Radical, et une réponse à ceux d’entre vos détracteurs qui ont accusé DGR de transphobie ?

D.J. : La question que je poserais est : « Étant donné que nous vivons dans une culture du viol, pensez-vous que les femmes ont le droit de se laver, de dormir, de s’organiser et de se réunir, en dehors de la présence des hommes ? » Si vous pensez que les femmes possèdent ce droit, vous serez accusé de transphobie ; vous recevrez des menaces de mort. Si vous êtes une femme, vous recevrez des menaces de viol. J’ai été déprogrammé à cause de ça, et certains activistes trans ont menacé de tuer les enfants des activistes de DGR. Tout cela parce que j’estime que les femmes ont le droit de se réunir sans la présence des hommes.

Je veux qu’il soit clair que personne au sein de DGR ne dit à quiconque comment vivre. Je m’en contrefiche ! Je ne dis pas que les personnes qui se considèrent trans devraient être payées moins pour leur travail, ou qu’elles ne devraient pas avoir le partenaire sexuel qu’elles veulent. Je ne suggère pas qu’elles devraient être mises à la porte de chez elles, ou déprogrammées d’une université, ou que quoi que ce soit de mal devrait leur arriver.

Quelqu’un m’a écrit pour me dire : « J’ai un petit garçon de 5 ans qui adore porter de la dentelle, adore danser ‘comme une fille’, et chanter ‘comme une fille’ : est-ce que cela ne fait pas de lui un trans-genre ? » Je lui ai écrit en retour et lui ai demandé « Êtes-vous en train de dire que seules les filles peuvent porter de la dentelle ? Pourquoi ne peut-on pas dire simplement ‘c’est un petit garçon qui aime jouer avec des poupées et chanter d’une voix aiguë ?’ Pourquoi ne peut-on pas aimer et accepter cet enfant comme il est ? Et que veut dire, au juste, danser ‘comme une fille’ ? »

La pensée médiocre me fait enrager. Je sais que les alliés des trans vont s’énerver quand j’affirme que « les femmes devraient pouvoir se réunir entre elles » parce qu’ils vont demander « qui sont les femmes ? Les trans qui s’identifient comme des femmes ne sont-ils pas des femmes ? » Selon ma définition, la femme est l’être humain femelle, et ma définition de femelle est basée sur la biologie. Certaines espèces sont dimorphiques. De la même façon qu’il y a des plantes de marijuana mâles et d’autres femelles, et des hippopotames mâles et des hippopotames femelles, il y a des êtres humains mâles et des êtres humains femelles.

Je veux ajouter deux choses avant que quelqu’un d’autre ne propose une contre-définition de ‘femme’ :

  1. Une définition ne peut pas être tautologique. Vous ne pouvez pas utiliser un mot pour le définir lui-même. Vous ne pouvez-pas dire : « Une femme est quelqu’un qui s’identifie comme étant une femme », pas plus que vous ne pouvez dire : « Un carré est quelque chose qui ressemble à un carré ».
  1. Une définition doit avoir une métrique clairement définie. Si je dis : « Voici une chose avec 3 côtés, c’est un carré ». Vous me répondrez « Non, ce n’est pas un carré parce qu’un carré à 4 côtés ». Vous devez être en mesure de vérifier. Je peux dire que je suis végétarien mais que j’ai mangé d’excellentes côtelettes au dîner. Cela détruit non seulement le mot ‘végétarien’ mais aussi le mot ‘définition’. Je demanderais à ceux qui sont en désaccord avec ma définition, « quelle est votre meilleure définition vérifiable pour le mot ‘femme’ ? » et deuxièmement, « Est-ce que le fait que ma définition du mot ‘femme’ soit différente, ce qui est défendable sur le plan linguistique, est d’une importance telle que vous pensez qu’il est acceptable que des hommes menacent de violer des femmes ? »

Je n’ai jamais discuté publiquement de ce point auparavant, mais je pense que c’est un problème important dont il faut parler. Cela fait partie du mouvement post-moderne, de manière plus vaste, qui donne plus de valeur à ce que l’on pense ou à ce que l’on ressent qu’à ce qui est réel. Ce qui nous ramène au greenwashing, et aux gens qui disent : « Nous devons proposer l’économie que nous souhaitons ». Non, d’abord nous devons comprendre ce que la Terre autorise !

Cette culture a une haine profonde envers le corps et ce qui est naturel. Voici un bon exemple : je souffre d’une maladie coronarienne, et j’ai informé mon médecin que je me sentais mieux depuis mon diagnostic. C’était juste avant la mise en place du Obamacare, donc je n’avais pas encore d’assurance. La douleur s’estompait, et j’ai demandé pourquoi. Le médecin m’a dit que lorsque les artères se bouchent, le corps envoie des capillaires tout autour pour, en gros, créer sa propre version de pontage chirurgical. Je n’avais jamais entendu parler de ça. Nous considérons tous comme miraculeux que quelqu’un vous ouvre le torse et pratique un pontage, mais nous n’y pensons même pas quand le corps le fait tout seul. Il y a une sagesse et un savoir considérables dans le corps, et nous devons apprendre à le respecter. C’est important, tant à l’échelle globale plus large qu’à l’échelle personnelle. Je pense qu’il est très important de reconnaître que cette culture dévalue le corps. Ce que je ressens est bien moins important que ce qui est.

Peux-tu nous dire ce que tu penses du sectarisme de gauche ?

D.J. : Cela nous ramène à la structure organisationnelle machiniste de la culture dominante, que je ne valorise pas, mais dont je reconnais l’efficacité. Elle a été capable d’emmener les gens au-delà du sectarisme.

Au fil des années, j’ai reçu des milliers de courriers haineux, dont seulement deux cents provenaient de gens de droite. J’ai reçu des messages haineux d’activistes anti-voiture parce que je conduis une voiture, de végétaliens parce que je mange de la viande, et d’anarchistes parce que je crois qu’il faut des lois contre le viol. Je n’ai jamais compris pourquoi les activistes pour les droits des animaux et les chasseurs ne travaillent pas ensemble pour protéger les habitats. Cela ne me poserait pas de problème. Je crois aux alliances temporaires. Après cela, les activistes pour les droits des animaux pourraient saboter les parties de chasse.

Voici un bon exemple des années 300 ou 400. Deux sectes chrétiennes s’affrontaient ; elles avaient le même nom mais l’une avait un tréma et l’autre pas. Elles se sont entre-tuées — des centaines de gens ! — pour cette question : « Pensez-vous que les flammes de l’enfer sont littérales ou figuratives ? »

Je parlais à quelqu’un de la permanence des conflits internes de la gauche. Il m’a expliqué que là où il vit en Virginie-Occidentale, il n’y avait auparavant qu’une seule branche du KKK [Ku-Klux Klan], composée de trois frères. Maintenant, il y a trois branches, parce qu’ils ne peuvent plus se supporter. Ce n’est donc pas un problème inhérent à la gauche.

Au lieu de s’énerver contre le sectarisme, ce que j’ai fait pendant les quinze dernières années, nous devons trouver comment y remédier. Cela fait sans doute partie de la condition humaine.

Mon amie Jeannette Armstrong, une activiste et auteure indigène, m’a dit un jour : « Dans notre communauté, nous avons autant de querelles que les blancs. La différence, c’est que je sais que mes arrière petits-enfants épouseront tes arrière petits-enfants, alors nous devons trouver comment nous entendre ». J’aime vraiment ce raisonnement. Je pense que nous devons simplement nous demander : « Que cherchons-nous réellement à faire ? »

En quoi le fait que je sois en désaccord avec un activiste trans, par exemple, et qu’eux soient en désaccord avec moi, pose-t-il problème ? Nous pouvons continuer à faire notre travail, et, au pire, nous ignorer mutuellement. Il y a plein de gens avec qui je suis en désaccord. Il arrive tout le temps que les membres des familles aient des points de vue différents en matière de politique ; cela ne les empêche pas de s’aimer.

La question que l’on m’a souvent posée au fil des années et qui me fait beaucoup rire, c’est « à quoi ressemble Thanksgiving chez toi ? ». Une de mes sœurs est ingénieure pétrolier, et elle était autrefois mariée avec un gars qui faisait de la lixiviation par cyanure et possédait une mine d’or. Maintenant elle est mariée à un gars qui bossait à la NSA (Agence nationale de la sécurité), et travaille maintenant pour l’armée israélienne. De quoi parlons-nous ? Nous parlons de football. Mon frère est un grand fan des Seahawks de Seattle, alors, aller les Hawks ! Je ne parle pas de sujets environnementaux : cela déclencherait une dispute. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi nous, les activistes, ne sommes pas d’accords pour ne pas l’être.

Noam Chomsky, qui est vraiment en désaccord avec la perspective anti-industrielle, est un autre très bon exemple. Il était prévu que je tienne une conférence en Écosse, et ils voulaient me questionner sur le fait que Chomsky crache sur l’anti-industrialisme. Je ne suis vraiment pas d’accord avec lui sur ce sujet, mais je respecte vraiment son travail ; de ce fait, mon agent, une personne très intelligente, qui est également l’agent de Chomsky, m’a convaincu de simplement préciser que « je n’attaque pas Chomsky. Nous ne sommes simplement pas d’accord sur ce point. » Je ne comprends pas que nous ne puissions pas faire cela plus souvent. Il y a une limite, bien sûre. Roman Polanski est un violeur, alors parler de sa vie privée a du sens.

Je ne supporte pas Richard Dawkins, j’ai beaucoup critiqué son travail, et j’ai entendu dire que c’est un individu pompeux. Mais je n’ai jamais entendu dire que c’était un violeur ou quoi que ce soit, donc je ne vois pas pourquoi je ne focaliserais pas simplement mes critiques sur son travail.

Je pense que le cinéma est vraiment préjudiciable à la communication, en ce qu’il est tellement en marge de la vraie vie et de la façon dont on communique. Pour faire avancer l’histoire d’un film, il faut une tension dramatique. Alors très souvent, vous avez des gens qui s’affrontent, alors qu’ils ne s’affronteraient pas dans la vraie vie, et puisque nous apprenons à communiquer avec les histoires que nous assimilons, nous apprenons à être encore plus querelleurs que ce que nous serions autrement.

Je connais quelqu’un qui a été invité sur le plateau de Bill Maher et s’est montré relativement poli. Ils se sont énervés et lui ont dit « si tu reviens un jour dans l’émission, tu dois couper la parole aux gens et être agressif, car c’est ce qui fait marcher l’émission. On veut Jerry Springer, on veut que les gens jettent des chaises ». On ne veut peut-être pas vraiment cela, mais c’est comme cela que fonctionne le spectacle. Dès lors, nous intégrons que ce sont des comportements acceptables.

J’écris un livre en ce moment avec un co-auteur. Nous avons eu un désaccord important samedi dernier, mais nous l’avons tous deux géré d’une façon mature. Nous sommes toujours en fort désaccord, mais nous avons renforcé notre amitié en la gérant de façon mature. […]

Traduction : Jessica Aubin

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