Le fait de comprendre que la culture entière pourrait raisonnablement être perçue comme souffrant du PTSD aide à comprendre autrement l’absurdité des actions et des philosophies de notre culture. Notre haine du corps. La certitude que la nature n’est faite que de griffes et de dents rouges de sang. Ce contrôle centralisé vers lequel on tend depuis longtemps. L’insistance névrosée sur la variabilité (et le contrôle) dans les sciences, et l’exclusion insensée de toute émotion – ce qui signifie l’exclusion de la vie – à la fois dans les sciences et dans l’économie. Utiliser le prisme de la violence domestique pour observer la violence sans vague de la civilisation aide à donner une signification à tous ces symptômes, mais le plus important avec ce prisme, qui a un rapport avec le prémisse six de ce livre, sur le fait que la civilisation est irrécupérable, est que les auteurs de violences domestiques, parmi tous ceux qui commettent des actes de violences, sont les plus intraitables, tellement intraitables, qu’en 2000, au Royaume Uni, tous les fonds accordés pour les thérapies destinées aux hommes coupables de violences domestiques ont été stoppés et mis plutôt dans la mise en place d’abris et d’autres moyens pour placer les femmes en sécurité. Sandra Horley, la directrice de Refuge, qui est l’organisme le plus important pour les femmes et les enfants victimes de violences, a dit : « Il n’y a pas de remède pour les hommes qui battent leur femme ou leur partenaire, selon les nouvelles recherches du Home Office. »88
Si les auteurs de violences domestiques ne peuvent pas être soignés, on doit simplement les arrêter. Si vous pensez, comme je l’ai déjà suffisamment démontré dans A Language Older than words, que la violence familiale dans cette culture est de bien des manières un microcosme de la violence que la culture nous déguise dans les cadres plus larges de l’histoire et de l’environnement, les implications de la culture – et de ses victimes humaines et non humaines – donnent, je pense, matière à réfléchir. Dans ce livre, j’ai discuté de l’incurabilité psychologique de cette culture, et également de sa pulsion de mort – sa pulsion de destruction sur toute forme de vie dont la nôtre – et pourquoi c’est intraitable.
Dans The Culture of Make Believe, j’ai traité de la question du caractère essentiellement destructeur de la culture, et de sa pulsion de mort, mais dans une démarche complètement différente, en explorant les interactions se renforçant mutuellement entre un système économique et social basé sur la compétition; la croyance que les humains sont au sommet de la création et notre culture au sommet de ce sommet (il m’a toujours été très clair que toute l’évolution qui m’a amené à être ici est dans le but que je puisse regarder la télévision); l’estimation de la production matérielle au-dessus de tout le reste, dont la vie; la supériorité accordée à l’abstraction sur l’expérience particulière (se manifestant, pour fournir trois exemples rapides parmi bien d’autres, par la promulgation des systèmes moraux basés plus sur des principes abstraits que sur des circonstances, l’invasion de la pornographie – des images abstraites de femmes nues, sur Internet ça rapporte environ 90 milliards de dollars par an, ce qui fait que le porno est le générateur d’argent cash en ligne numéro un, représentant 13% de tous les revenus – et l’habilité et la propension à éliminer des distances psychique et physique toujours plus grandes); et la bureaucratisation de plus en plus importante de la société. J’ai montré comment tous ces vecteurs se rassemblent pour mener inéluctablement à la tentative d’élimination de toute diversité, à la tentative de tuer la planète, et au massacre de masse, devenu routinier, de nos semblables, (et bien sûr des non humains.)
Ici mon approche pour comprendre les raisons de l’implacabilité de la violence de notre culture est plus fondamentale, et je suis en train de découvrir que comme on dit, toutes les routes mènent à Rome, tous les chemins, ici, mènent à la perception et aux articulations de l’exploitation qui est la base de la civilisation. En d’autres mots, il n’importe pas vraiment de quel niveau, économique, psychologique, social ou physique (les ressources) nous parlons (aucun d’eux ne peut être séparé des autres de toutes façons), nous en venons toujours à la même conclusion. Pour parler encore autrement, le microcosme est une manifestation du macrocosme qui lui même reflète le premier. Ou pour encore changer de terminologie, nous sommes dans le pétrin, et nous avons de besoin d’arriver à savoir ce que nous allons faire de cette situation.
Parce que chaque cité-état (et maintenant toute l’économie industrielle globale interconnectée) repose sur l’importation des ressources, l’exploitation qui fonde notre culture doit rester en place, et ce peu importe à quel point nous pouvons nous sembler spirituels, clairvoyants ou paisibles vis-à-vis de nous-mêmes. Ces fondements reposant sur la violence sont en place, que nous choisissions ou non de les reconnaître. C’est en place, que nous nous désignions ou non comme des amoureux de la paix, que nous nous disions (à chaque fois) que nous nous battons pour amener la liberté, la démocratie et la prospérité aux gens irresponsables qui, la plupart du temps ne semblent pas vouloir ce que nous avons à leur offrir. C’est alors sans fards que nous nous frappons et tuons, (rappelez-vous du prémisse quatre), pour prendre leurs ressources. Plus précisément, ceux qui sont au pouvoir font ça. Plus précisément encore, ceux qui sont au pouvoir ordonnent à leurs serviteurs de faire ça, lesquels sont tombés dans la croyance que ceux qui sont au pouvoir ont le droit de prendre ces ressources.89
Cette culture a tué beaucoup de gens, et continuera comme ça jusqu’à ce qu’elle s’effondre, et probablement encore après son effondrement. Cela doit rester comme ça, parce que ces massacres sont inhérents aux besoins structurels et physiologiques de la société, ce qui les rend impossibles à changer. Les appels à la conscience, à l’humanité, à la décence sont ainsi condamnés avant même d’être proférés (et en fait ils peuvent même être nocifs dans la mesure où ils nous permettent à tous – des présidents aux PDG, aux généraux, aux soldats aux militants aux gens qui n’y pensent pas vraiment – de prétendre que ceux au pouvoir pourraient maintenir ce pouvoir sans violence, et que la production matérielle sur laquelle toute la culture est basée pourrait aussi continuer comme ça sans violence), non seulement parce que ceux au pouvoir se sont montrés – de façon similaire aux auteurs de violences familiales, pour des raisons similaires – empressés de commettre autant de violence qu’ils pouvaient perpétrer en toute impunité, et pas seulement parce que ceux au pouvoir se sont montrés psychologiquement hermétiques à ces appels (Cher Adolf, s’il te plait, ne fais pas de mal aux Juifs, et ne prend pas les terres des Slaves et des Russes. Sois sympa, ok?), mais aussi, et c’est plus important encore, parce qu’implacables, les institutions qui les servent sont tout aussi hermétiques à ces appels, d’un point de vue fonctionnel, comme les individus peuvent l’être d’un point de vue psychologique. Ils ont besoin de ces ressources et les obtiendrons, et au diable les malformations entraînées par l’uranium appauvri ou la fonte des glaciers. Tout cela signifie que les mouvements pour la paix sont condamnés avant même de commencer parce qu’à moins de vouloir défaire cette culture à la racine, et ainsi les racines de la violence, ils peuvent au mieux remédier à des causes superficielles, et fournir, au mieux une palliation.
88 Bright Martin and Ryle Sarah, « United Kingdom stops fundings Batterers Program », Guardian, 27 may 2000.
89 Et qui adhèrent au fait que des ressources ne sont que des ressources.
Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca
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